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staller chez elle, qui ne la connaissait ni d’Eve ni d’Adam ce fut son expression.

« Nous fûmes exactes au rendez-vous, et peu après nous vîmes paraître une grande et belle personne qui courut vers ma mère les bras ouverts et l’embrassa avec effusion. Ma mère, étonnée de cet accueil de la part d’une inconnue, la regardait en silence, cherchant à se rappeler ses traits. La jeune personne s’en aperçut. « Eh quoi ! lui dit-elle, m’avez-vous donc tout à fait oubliée ? Ne vous rappelez-vous plus la petite d’Armont ? » Ce fut un trait de lumière. La reconnaissance fut bientôt aussi affectueuse d’un côté que de l’autre. Mme de Bretteville, rassurée sur l’identité de sa jeune parente, perdit toutes ses frayeurs ; on se vit tous les jours, et l’on reprit les anciens erremens comme si l’intimité d’autrefois n’eût subi aucune interruption.

« J’avais appris l’anglais et l’italien. Mlle d’Armont voulut être mon écolière ; mais ses progrès ne répondirent pas à mon attente. Elle était devenue très grande et très belle ; sa taille, parfaitement prise, quoiqu’un peu forte, ne manquait pas de noblesse. Elle s’occupait fort peu de sa parure et ne cherchait nullement à faire valoir ses avantages personnels. Ma mère se chargea de rectifier son goût, et moi je plaçais souvent un ruban dans ses cheveux, cherchant à les arranger d’une façon plus gracieuse. Mme de Bretteville lui fit présent de plusieurs jolies robes ; ma mère présida à la coupe, et Mlle d’Armont devint une tout autre personne malgré le peu de soin qu’elle donna toujours à sa toilette. Elle était d’une blancheur éblouissante et de la plus éclatante fraîcheur. Son teint avait la transparence du lait, l’incarnat de la rose et le velouté de la pêche. Le tissu de la peau était d’une rare finesse ; on croyait voir circuler le sang sous un pétale de lis. Elle rougissait avec une facilité extrême et devenait alors vraiment ravissante. Ses yeux, légèrement voilés, étaient bien fendus et très beaux ; son menton, un peu proéminent, ne nuisait pas à un ensemble charmant et plein de distinction. L’expression de ce beau visage était d’une douceur ineffable, ainsi que le son de la voix. Jamais on n’entendit un organe plus harmonieux, plus enchanteur ; jamais on ne vit un regard plus angélique et plus pur, un sourire plus attrayant. Ses cheveux châtain clair s’accordaient parfaitement avec son visage ; enfin c’était une femme superbe. Elle se tenait mal, sa tête se penchait légèrement en avant, et nous lui faisions souvent la guerre à ce sujet. Elle souriait et promettait de se corriger ; mais, si elle l’essayait, ses efforts restaient sans succès.

« Ma mère lui demanda pourquoi elle avait quitté l’abbaye. — C’était pour se réunir à son père, privé depuis si longtemps de la