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la contrée pittoresque et sauvage dont la ville de Mayenne est le chef-lieu. La rivière du même nom coulait à l’extrémité du parc. Une vieille futaie couronnait le vallon encaissé au fond duquel tournait la roue d’un moulin, versant sa nappe d’eau argentée à l’ombre des saules. Parmi les roches qui encombrent en cet endroit le lit de la rivière, les truites agiles aiment à remonter le courant et à se jouer sous l’écume des cascades. Assis fièrement sur son coteau, entouré de beaux arbres, le château offrait une assez belle apparence ; les hautes girouettes de ses tourelles, perçant l’épaisseur du feuillage, attiraient de loin les regards du voyageur. Cependant il en était de ce manoir comme de tant d’autres que le passant contemple d’un œil d’envie : pour s’y plaire, il faut y être né ; pour en supporter la monotonie accablante, il faut y avoir des souvenirs d’enfance. Le château des Roches, perdu dans la solitude d’un pays couvert, conservait quelque chose de la physionomie austère et revêche des gentilshommes ligueurs qui l’avaient bâti. Mlle Du Brenois, y étant née, s’y trouvait à merveille et n’en sortait presque jamais. Ses pensées n’allaient point au-delà des limites de ses terres, qu’elle aimait à parcourir dans sa voiture, presque toujours en tenue de gala. Elle prenait plaisir à visiter ses nombreux fermiers, dont elle recevait avec grâce les respectueux hommages. Pourquoi, arrivée à l’âge de cinquante ans, s’était-elle décidée à prendre sous sa protection l’orphelin que la fermière du Cormier avait recueilli sous son toit ? Aucun des vieux serviteurs du château ne le savait, et tous s’accordaient à voir dans cette détermination de Mlle Du Brenois une manie de vieille fille.


II.

Lorsque la voiture arriva à l’entrée de la longue avenue qui conduisait au château des Roches, Mlle Du Brenois montra du doigt au jeune enfant assis près d’elle les tourelles pointues qui apparaissaient au milieu des arbres.

— Tiens, Valentin, voilà la maison que tu vas habiter, lui dit-elle ; une belle demeure, n’est-il pas vrai ?

L’enfant regarda tout au bout de la longue allée de hêtres aux troncs blancs la façade sévère du vieux manoir, dont il distinguait à peine l’étage supérieur, percé de fenêtres hautes et étroites. Peu à peu l’édifice s’offrit à lui avec sa teinte grise, ses murs lézardés en maints endroits et ses tourelles sombres, que le lierre avait envahies de la base au sommet. Il ne répondit rien, et continua de tenir ses yeux fixés sur le château. Bientôt la porte de la cour s’ouvrit à deux battans.