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— Nous voilà rendus, dit Mlle Du Brenois ; abaisse la glace, Valentin, et dis au cocher d’avancer jusqu’au pied du petit escalier, devant la tourelle du nord.

L’enfant ouvrit brusquement la portière et se précipita à terre ; il étouffait dans cette voiture fermée. Quant à parler au cocher, il s’en garda bien. Cet homme galonné, carrément assis sur son siège, lui inspirait une sorte de terreur.

— Eh bien ! eh bien ! cria Mlle Du Brenois, où va-t-il donc, le petit étourdi ? Joseph, abaissez le marchepied ; je voulais me faire descendre devant le petit escalier, mais je m’arrêterai ici… Rappelez l’enfant, Joseph.

Le laquais se hâta de rejoindre Valentin. Celui-ci, étrangement dépaysé dans cette cour pavée de grandes dalles sur lesquelles se projetait l’ombre du massif château lourdement appuyé sur ses quatre tourelles, avait couru vers le jardin : il était là, debout devant une douve aux eaux verdâtres, au fond de laquelle une douzaine de canards prenaient leurs ébats.

— Eh bien ! lui dit Mlle Du Brenois, que faisais-tu là-bas ?… Nous ne sommes pas ici à la ferme du Cormier, mais bien au château des Roches. Viens avec moi et montons à ta chambre. Nous voici au premier, allons plus haut,., là ! Tu vois ce cabinet tapissé de papier bleu, c’est là que tu coucheras. La vue est belle d’ici ! Les coteaux, l’avenue, et puis mes fermes à droite et à gauche, on embrasse tout d’un coup d’œil. Cette autre porte est celle de la bibliothèque ; tiens, regarde.

L’enfant fit un pas en avant et resta interdit en voyant deux mille volumes rangés sur des rayons poudreux.

— Quand tu sauras lire, ajouta Mlle Du Brenois, tu auras là de quoi t’occuper. Histoire, littérature ancienne et moderne, sciences, que sais-je ? tout ce qui peut servir à orner l’esprit a été rassemblé dans cette bibliothèque.

Valentin contemplait avec épouvante tous ces gros livres, qui exhalaient une odeur de bouquins. Comme la plupart des enfans de la campagne, il avait une secrète répugnance pour tout ce qui tient de près ou de loin aux écoles et aux pédagogues ; il crut qu’il serait condamné à lire les uns après les autres ces innombrables volumes, dès qu’on lui aurait appris à connaître ses lettres, et cette perspective lui donna le frisson. S’il l’eût osé, il se fût précipité au bas de l’escalier pour gagner la porte et se sauver à travers champs. Un profond chagrin s’empara de lui ; il suivait, l’œil morne et sans mot dire, tous les pas de Mlle Du Brenois, qui le promenait à travers les longs corridors du château. Il lui semblait que les vieux fauteuils aux pieds sculptés recouverts de housses causaient entre eux et te-