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prononcer. Jean sella le cheval, et Valentin monta en croupe derrière lui. Ils trottèrent ainsi tous les deux pendant une heure sans rien se dire. De temps à autre, Jean appliquait un coup de houssine sur les flancs du paisible coursier, qui n’allait pas plus vite pour cela. Valentin, le cœur gros, les yeux pleins de larmes, s’abandonnait à de tristes pensées. Quand ils ne furent plus qu’à une lieue du château des Roches, Jean arrêta son cheval.

— Valentin, dit-il à haute voix, tu trouveras bien ta route tout seul à présent, n’est-ce pas ? Notre bête est lasse, j’ai envie de te descendre ici…

Valentin descendit sans répondre. — Tu vois bien les tours du château, par-dessus les arbres, à gauche ?… Tu n’as qu’à suivre la grande route jusqu’à la croix, et puis après tu prendras la traverse, si tu veux. Tu seras bientôt rendu, toi qui vas bien !… — Ayant ainsi parlé, Jean tourna bride et disparut derrière les arbres.

Quand il se vit seul, abandonné en pleine campagne, à deux grandes lieues de la ferme du Cormier, Valentin demeura fort indécis sur le parti qu’il devait prendre. Retourner auprès de sa mère adoptive était chose impossible ; celle-ci venait de lui faire entendre que sa porte ne s’ouvrirait plus pour le recevoir. On se fût montré moins sévère au château des Roches : Mlle Du Brenois, qui avait ri de la fuite précipitée de son petit protégé, s’attendait à le voir reparaître, et lui ménageait un bon accueil ; mais Valentin s’était senti tellement dépaysé dans ce vieux manoir, il y avait éprouvé de si terribles impressions, qu’il ne pouvait se décider à y revenir. Assis sur le bord d’un fossé, il contempla pendant quelques minutes avec un profond découragement les verdoyans coteaux éclairés par un soleil de mai, où tout était gai et rayonnant, où tout souriait, excepté lui. Bientôt, ranimé par la douce influence du printemps, il se leva et se mit à marcher vers la grande route. Si les fleuves sont des chemins qui marchent, a dit un philosophe, on peut dire aussi qu’il y a sur les grandes routes comme un courant qui entraîne le voyageur et le pousse en avant. Valentin, qui allait à l’aventure, droit devant lui, hâta le pas, et arriva bientôt au fond d’un vallon étroit qu’un frais ruisseau traversait dans toute sa longueur. De vieux chênes, dont les racines capricieuses s’étaient implantées dans les fissures du roc creusé par les eaux, étendaient leurs rameaux sur un épais gazon, et formaient l’entrée d’une lande spacieuse qui s’enfonçait au loin parmi les champs cultivés. C’était un de ces coins de terre, devenus trop rares aujourd’hui, que les communes, — il y a vingt-cinq ans, — ne songeaient ni à aliéner, ni à défricher ; riantes savanes où le piéton pouvait faire halte, l’artiste dessiner des études d’après nature, le rêveur s’asseoir un livre à la