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rière des sauts périlleux et des tours d’une agilité surprenante. Valentin, à qui l’on avait généreusement abandonné les restes du dîner, contemplait avec ébahissement un spectacle si nouveau pour lui. Le chef de la troupe, voyant les jeunes gens en train de s’exercer, saisit un cornet à piston ; l’une des femmes s’arma de cymbales, une seconde s’empara de la grosse caisse ; une aigre clarinette se mit de la partie : bientôt l’orchestre fut au complet. Au bruit de cette musique qui leur était bien connue, les chevaux dressèrent les oreilles et se rapprochèrent du rond formé par les chariots. Aussitôt chacun des sujets de la troupe en prit un par la crinière, et, partant tous au galop, ils décrivirent un grand cercle autour des chênes et répétèrent avec autant d’agilité que de bonne humeur tous les exercices de la voltige.

— Halte ! mes enfans, cria tout à coup l’homme aux favoris blancs en déposant à terre son cornet à piston. Voilà qui est assez. Ménageons-nous pour les représentations qui vont commencer sous peu de jours. Eh bien ! petit paysan, que dis-tu de cela ?

Valentin restait assis sur l’herbe, la bouche béante, tenant toujours la marmite entre ses genoux.

— Petit paysan, reprit l’homme aux favoris blancs, nous allons atteler et partir… Suis-tu la même route que nous ?

— Je ne sais pas, dit Valentin. Où allez-vous ?

— À la foire de la ville voisine, à Mamers, où nous sommes impatiemment attendus. Une affiche a dû annoncer l’arrivée du signor Barboso, — c’est moi ! — et de sa troupe équestre.

Les chariots étaient attelés ; la tribu tout entière se mettait en marche, les uns en voiture, les autres à cheval. Valentin se tenait toujours auprès du signor Barboso.

— En conscience, dit-il d’un air embarrassé, moi je ne sais pas où je vais !…

— Crois-tu que nous le savons nous-mêmes ? répliqua le signor Barboso. Nous allons à l’aventure, fais comme nous, joins-toi à la troupe ; je t’emploierai… à soigner les chevaux, à nettoyer les quinquets ; il y a toujours de la besogne chez nous. D’ailleurs, si tu as des moyens, tu pourras te produire en public, comme tant d’autres, et acquérir de la réputation… Pour faire un artiste, acrobate, écuyer, n’importe lequel, que faut-il ? Rien que de la souplesse et de l’audace. Il y a tant de badauds en ce monde qui ont besoin d’être amusés, qui ne demandent qu’à s’émerveiller… Avec des grimaces et des gambades, en marchant sur les mains au lieu de marcher sur les pieds comme les autres mortels, on se fait applaudir, et l’on vit indépendant, libre comme l’air, insouciant et gai au milieu d’une société qui s’agite et s’ennuie… À propos, mon petit,