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sur ce tabouret… Ta mère vit toujours ? elle va bien et tes frères aussi ?…

La jeune paysanne répondit par un signe de tête affirmatif ; elle était trop troublée pour pouvoir parler.

— Et Mlle Du Brenois, reprit Fabricio ; elle habite toujours le château des Roches ?

— Oui, dit Rosette, qui commençait à se remettre un peu de son émotion ; pour l’instant, elle est ici à prendre les bains de mer. Sa vieille femme de chambre étant trop souffrante de ses rhumatismes pour quitter le château, Mlle Du Brenois m’a prié de l’accompagner… Nous te croyions mort, Valentin ! Voilà bien dix ans que nous n’avons reçu de tes nouvelles… Tu t’es donc fait sauteur ? ajouta-t-elle tristement.

— Le hasard m’a fait ce que je suis, écuyer, clown, que sais-je ? Il fallait bien gagner ma vie !…

— C’est-à-dire que j’ai fait de lui un artiste de premier ordre, interrompit le signor Barboso. Ah ! Fabricio, mon ami, vas-tu rougir de la carrière dans laquelle tu t’es illustré ?…

— Je m’en vais, je m’en vais, dit précipitamment la jeune fille ; si mademoiselle me surprenait ici, causant avec des saltimbanques…

— Ne lui dis pas que tu m’as vu, répliqua Valentin ; sois discrète, Rosette !… Où est-elle logée ? à l’hôtel du Pélican ?…

Rosette fit un geste affirmatif et s’éloigna.

— En vérité, dit le signor Barboso avec un sourire, elle n’est pas mal, ta petite Rosette ; elle a de la grâce, du naturel… La vieille demoiselle qu’elle a accompagnée est donc cette protectrice dont tu m’as parlé, qui habitait un vieux château ?

— Oui, répondit Fabricio, un château où j’aurais vécu dans l’abondance, dans la richesse, heureux…

— Et inconnu ! Jamais les applaudissemens du public ne seraient allés te trouver là, Fabricio ! Vas-tu t’attendrir et pleurer comme un enfant ?

— Tenez, maître Barboso, reprit l’écuyer en essuyant une larme, il est temps que cela finisse ! Bien que nous soyons ici à cinquante lieues de mon pays, il me semble que j’ai devant moi la petite ferme du Cormier, avec son jardin, ses grands arbres…

— Paysan, toujours paysan ! murmura le vieux Barboso.

— Paysan tant que vous voudrez, poursuivit Fabricio ; j’ai le mal du pays !… Encore une fois, il faut que cela finisse. D’ailleurs nous ne savons plus où donner de la tête ; tout autour de nous je ne vois que des villes où nous avons des dettes ! Je vous le demande, maître, où comptez-vous aller ?

— Où je compte aller, Fabricio ? C’est toi qui me le demandes.