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Eh ! je compte aller avec toi faire une visite à la vieille demoiselle du château des Roches. Nous tâcherons de l’intéresser en notre faveur, de l’émouvoir par le récit de la situation précaire dans laquelle nous a plongés le malheur des temps… Hein ! n’est-ce pas une idée lumineuse ? Fais un peu de toilette, Fabricio, tandis que je vais moi-même revêtir mes habits de ville.

Les habits de ville du signor Barboso étaient d’une coupe étrange et ornés de brandebourgs : le temps les avait singulièrement altérés ; mais il les portait avec l’aisance d’un homme habitué à endosser toute sorte de costumes. Toujours préoccupé de la dignité de sa personne, il aimait à parer ses doigts de grosses bagues et à faire flotter sur son gilet une chaîne en chrysocale. Les gens qui spéculent sur la curiosité des badauds affectent toujours de se distinguer du vulgaire. Fabricio, qui n’appartenait point à la vraie race des artistes nomades, se contentait de vêtemens achetés aux boutiques de marchands forains ; ses moyens ne lui avaient jamais permis de s’adresser directement à un tailleur. Quand il fut prêt à partir, le signor Barboso posa sur le côté de sa tête, avec une certaine coquetterie, son chapeau gris évasé par le haut, et s’adressant à Fabricio : — Donne-moi ton bras et marchons, lui dit-il ; les circonstances sont graves, mon ami ! surtout de l’aplomb, pas de faiblesse, d’attendrissement, de larmes, si ce n’est vers la fin de l’entrevue, pour amener un dénoûment…

Ils arrivèrent bientôt devant l’hôtel ; la porte des appartemens de Mlle Du Brenois leur fut ouverte par Rosette, qui eut peine à les reconnaître. — M. Barboso et M. Fabricio, dit-elle d’une voix troublée en introduisant les deux visiteurs, et elle se retira précipitamment.

Mlle Du Brenois était assise dans un grand fauteuil, près de la fenêtre, tenant un livre à la main. C’était bien la petite dame élégante, aux yeux vifs, que Valentin avait connue ; seulement dix années de plus avaient imprimé des rides sur son visage.

— Qu’y a-t-il pour votre service, messieurs ? demanda-t-elle avec surprise en fixant ses regards sur les brandebourgs du signor Barboso ; vous venez sans doute m’offrir des drogues, de l’eau de Cologne, du vulnéraire suisse ?… Je n’ai besoin de rien, je vous assure…

— Mademoiselle, répliqua gravement le signor Barboso après avoir salué trois fois, le sentiment de la reconnaissance nous a seul conduits près de vous. Avant de devenir mon élève, — j’ose ajouter mon élève favori, — ce jeune homme avait eu l’honneur de mériter vos bonnes grâces…

— Monsieur, interrompit Mlle Du Brenois, j’ai l’oreille un peu paresseuse, et puis vous avez un accent étranger. C’est sans doute