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dant encore avec dignité aux travaux de sa famille. L’aspect un peu sauvage de cette contrée paisible, coupée de ruisseaux encaissés et de collines abruptes, ramenait le calme dans esprit. Il regardait avec joie les grands chênes portant à la pointe d’une branche morte les restes de vieux nids de corbeaux à demi détruits par les pluies de l’hiver. Tous ces arbres, tous ces buissons, témoins des jeux de son premier âge, il les avait oubliés juste assez pour éprouver une véritable joie à se les rappeler. Sans perdre entièrement les instincts fantasques qui sont naturels aux gens de son pays, et dont il avait plus qu’aucun autre ressenti l’influence, Valentin redevenait l’homme des campagnes, laborieux et patient. Les laboureurs du voisinage s’étonnaient de voir toujours, la bêche à la main, ce jeune homme, qui pouvait vivre sans rien faire ; ses camarades d’enfance lui savaient gré de se montrer à leur égard serviable et doux comme par le passé. C’est qu’en véritable enfant du sol, il avait été élevé parmi les genêts et les ajoncs, courant tout le jour à travers les landes et les guérets, dormant la nuit dans la crèche auprès des bœufs.

Peu sensible aux plaisirs de l’horticulture, le signor Barboso errait toute la journée dans les allées et ta travers les bois, enveloppé dans une robe de chambre à fond rouge, coupée dans un ancien manteau de magicien. Les paysans qui le voyaient passer dans cet étrange costume le saluaient avec une respectueuse terreur. Parfois il essayait de prendre dans la rivière des truites agiles qui se riaient de lui et cassaient ses lignes. Quelques mois se passèrent ainsi, et l’hiver dépouilla la campagne de sa verdoyante parure. Le vieux Barboso commença à trouver les soirées bien longues. Habitué à se coucher fort tard, après les représentations, il ne savait comment employer le temps depuis le coucher du soleil jusqu’à minuit. Sa seule récréation était de jouer aux cartes avec Valentin ; mais celui-ci allait souvent veiller au château des Roches, où Rosette continuait d’habiter auprès de Mlle Du Brenois. Le vieux bohémien n’était point invité à assister en tiers aux causeries intimes des deux jeunes gens. Il restait donc seul dans le chalet, bâillant, se promenant de long en large, repassant dans son esprit les principaux épisodes de sa vie active. Le repos absolu devient un supplice pour ceux qui ont beaucoup agi. Le signor Barboso se sentait mal à l’aise et comme fatigué dans cette tranquillité parfaite où les jours se succédaient avec une monotonie désolante. Aussi, dès que le printemps s’annonça, dès que se fit entendre le premier chant de la grive, le vieux bohémien commença à s’agiter comme l’oiseau dans sa cage.

— Fabricio, dit-il à son ancien élève, la vie champêtre a ses