Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est à peine si on peut rencontrer un paysan sur cent à qui pareille aubaine soit arrivée. La seule superstition à peu près générale chez ce peuple français si peu enclin au merveilleux est celle du revenant, c’est-à-dire la croyance aux visites des âmes avec lesquelles les vivans ont entretenu des rapports humains, bons ou mauvais.

Cependant, par une exception qu’on ne saurait trop remarquer, les fées se sont toujours plu sur le sol de la France, qui a été pour ainsi dire leur patrie d’adoption. Les fées ont toujours aimé la France et en ont toujours été aimées. C’est que, de toutes les populations du monde invisible, les fées sont la plus sociable et la plus humaine, celle qui possède les qualités les mieux choisies pour intéresser et flatter doucement l’imagination sans choquer le bon goût et la politesse. Leur compagnie vaut la peine d’être recherchée, ce qu’on ne pourrait pas dire des autres populations invisibles, qu’il est au contraire prudent et sage d’éviter. Que sont les fées et quel est leur caractère? Les exorcistes, les démonologues et les savans en magie les classent parmi ces esprits élémentaires d’origine païenne, immortels sans être divins, trop légers pour la terre, trop terrestres pour le ciel; mais la sévérité de ces pédans en sciences occultes est excessive autant qu’injuste, car on a vu des fées qui ont reçu le baptême et sont devenues sincèrement chrétiennes, ou qui, pleines de repentir, ont mérité d’être consolées et bénies par de saints ermites. Ce ne sont là pourtant que des exceptions, car il est vrai de dire que le sentiment religieux leur manque tout à fait, et que le caprice et la poésie constituent la seule religion qui soit à leur usage; mais si jamais on ne les a vues mêlées au cortège des anges et des esprits pieux, jamais on ne les a rencontrées parmi la tourbe des esprits damnés ou mêlées aux sombres cérémonies du sabbat. Elles ont en leur possession des talismans, des pierres précieuses, des parures et des armes enchantées dont elles daignent faire don à leurs favoris; mais jamais elles n’ont fourni aux sorcières les manches à balai qui leur servent de monture, pas plus que l’onguent dont elles se frottent. Sans être religieuses, elles ont trop bon goût pour prendre plaisir aux stupides et indécentes parodies de la messe dite à rebours, et si la prière leur est inconnue, le blasphème ne souille pas leurs lèvres charmantes, d’où sont tombés tant de promesses courtoises et de poétiques encouragemens. Ce n’est pas elles qui consentiraient à servir et à adorer le dieu Baphomet, ou qui aimeraient à hanter les lieux maudits et sinistres, les cimetières par exemple, en compagnie des vampires et des goules. Elles détestent les nuits noires, qui sont les préférées des esprits damnés; elles choisissent pour leurs jours de fête et de réunion, pour leurs bals et leurs festins, les belles nuits éclairées