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le bon Perrault, toutes proportions gardées, a montré la même liberté d’esprit qu’un Shakspeare ou un Cervantes : pas plus qu’eux, il n’a cherché à être plus moral que la vie et la nature. La donnée de Peau-d’Ane est aussi hardie que les plus hardies et les plus aventureuses des données de Shakspeare. L’ingénieux Chat-Botté, dont nous ne pouvons nous empêcher d’applaudir les bons tours, frise, si l’on y regardait d’un peu près, le chevalier d’industrie et le coureur d’aventures. Le spirituel Petit-Poucet, sauveur de ses frères et artisan de leur fortune, est loin d’être un héros à proposer comme exemple de vertu. Ni la reconnaissance ni la franchise ne sont au nombre de ses qualités, et il a même certains défauts qui, développés par la vie, deviendront des vices bien caractérisés. Le Petit-Poucet contient le germe d’un Gil Blas ou même d’un Figaro. C’est dans cette indifférence d’une moralité trop dogmatique qu’il faut chercher le secret de la faveur dont les contes de Perrault jouissent auprès des lecteurs de tout âge et de toute condition. Comme ils n’ont pas la prétention d’être plus moraux que la vie, nous aimons à y chercher la miniature du monde que nous connaissons et le souvenir des expériences que nous avons faites.

Si vous voulez comprendre la valeur poétique des contes de Perrault, comparez-les aux autres recueils de contes de fées qui ont été composés dans notre pays, au meilleur de tous, par exemple à celui de Mme d’Aulnoy. Certes je ne veux point médire des contes de Mme d’Aulnoy; l’auteur est un type de véritable Française du temps passé : spirituelle, sensée, judicieuse, pratique, connaissant à fond le train du monde et les secrets des influences sociales. Les contes de Mme d’Aulnoy sont beaucoup plus moraux que ceux de Perrault, et trahissent même peut-être plus de vivacité et de science des combinaisons. A les prendre comme œuvre d’éducation, ils sont certainement supérieurs, car ils vont plus directement à leur but, et sont plus strictement composés en vue d’un certain âge dont on pourrait rigoureusement déterminer les limites; mais ces contes si piquans, si spirituels, si ingénieux souvent, n’ont aucune naïveté. Lire un conte de Mme d’Aulnoy après un conte de Perrault, c’est lire une fable de Florian après une fable de La Fontaine. La moralité est transparente sous le récit, la leçon directe et allant logiquement à son but comme celle des fables de Florian. Le récit veut dire une certaine chose et n’en veut dire qu’une seule, il n’a qu’une seule application. Cette moralité si directe et si logique détruit toute illusion et toute impression de merveilleux, et met en fuite les fées pour ne laisser voir que de beaux messieurs et de belles dames de cour. Les fées abondent en effet dans les contes de Mme d’Aulnoy bien plus que dans ceux de Perrault; elles abondent, et cependant