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image, c’est que, par une exception qui, je le crois, ne fera envie à personne, il avait eu le courage assez rare de s’examiner souvent, et la sévérité plus rare encore de se juger médiocre. Enfin il existe si peu, quoiqu’il existe, qu’il est presque indifférent de parler de lui soit au présent, soit au passé.

La première fois que je le rencontrai, c’était en automne. Le hasard me le faisait connaître à cette époque de l’année qu’il aime le plus, dont il parle le plus souvent, peut-être parce qu’elle résume assez bien toute existence modérée qui s’accomplit ou qui s’achève dans un cadre naturel de sérénité, de silence et de regrets. « Je suis un exemple, m’a-t-il dit maintes fois depuis lors, de certaines affinités malheureuses qu’on ne parvient jamais à conjurer tout à fait. J’ai fait l’impossible pour n’être point un mélancolique, car rien n’est plus ridicule à tout âge et surtout au mien ; mais il y a dans l’esprit de certains hommes je ne sais quelle brume élégiaque toujours prête à se répandre en pluie sur leurs idées. Tant pis pour ceux qui sont nés dans les brouillards d’octobre ! » ajoutait-il en souriant à la fois et de sa métaphore prétentieuse et de cette infirmité de nature dont il était au fond très humilié.

Ce jour-là, je chassais aux environs du village qu’il habite. Je m’y trouvais arrivé de la veille et sans aucune autre relation que l’amitié de mon hôte le docteur ***, fixé depuis quelques années seulement dans le pays. Au moment où nous sortions du village, un chasseur parut en même temps que nous sur un coteau planté de vignes qui borne l’horizon de Villeneuve au levant. Il allait lentement et plutôt en homme qui se promène, escorté de deux grands chiens d’arrêt, un épagneul à poils fauves, un braque à robe noire, qui battaient les vignes autour de lui. C’était ordinairement, je l’ai su depuis, les deux seuls compagnons qu’il admît à le suivre dans ces expéditions presque journalières, où la poursuite du gibier n’était que le prétexte d’un penchant plus vif, le désir de vivre au grand air et surtout le besoin d’y vivre seul.

— Ah ! voici M. Dominique qui chasse, me dit le docteur en reconnaissant à toute distance l’équipage ordinaire de son voisin. Un peu plus tard, nous l’entendîmes tirer, et le docteur me dit : « Voilà M. Dominique qui tire. » Le chasseur battait à peu près le même terrain que nous et décrivait autour de Villeneuve la même évolution, déterminée d’ailleurs par la direction du vent, qui venait de l’est, et par les remises assez fixes du gibier. Pendant le reste de la journée, nous l’eûmes en vue, et, quoique séparés par plusieurs cents mètres d’intervalle, nous pouvions suivre sa chasse comme il aurait pu suivre la nôtre. Le pays était plat, l’air très calme, et les bruits en cette saison de l’année portaient si loin, que même après