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silence, que deux ou trois troupes de vendangeurs, ce que dans le pays on appelle des brigades, et un grand mât surmonté d’un pavillon de fête, planté dans la vigne même où se cueillaient les derniers raisins, annonçait en effet que la brigade de M. Dominique se préparait joyeusement à manger l’oie, c’est-à-dire à faire le repas de clôture et d’adieu où, pour célébrer la fin du travail, il est de tradition de manger, entre autres plats extraordinaires, une oie rôtie.

Le soir venait. Le soleil n’avait plus que quelques minutes de trajet pour atteindre le bord tranchant de l’horizon. Il éclairait longuement, en y traçant des rayures d’ombre et de lumière, un grand pays plat, tristement coupé de vignobles, de guérets et de marécages, nullement boisé, à peine onduleux, et s’ouvrant de distance en distance, par une lointaine échappée de vue, sur la mer. Un ou deux villages blanchâtres, avec leurs églises à plates-formes et leurs clochers saxons, étaient posés sur un des renflemens de la plaine, et quelques fermes, petites, isolées, accompagnées de maigres bouquets d’arbres et d’énormes meules de fourrage, animaient seules ce monotone et vaste paysage, dont l’indigence pittoresque eût paru complète sans la beauté singulière qui lui venait du climat, de l’heure et de la saison. Seulement, à l’opposé de Villeneuve et dans un pli de la plaine, il y avait quelques arbres un peu plus nombreux qu’ailleurs et formant comme un très petit parc autour d’une habitation de quelque apparence. C’était un pavillon de tournure flamande, élevé, étroit, percé de rares fenêtres irrégulières et flanqué de tourelles à pignons d’ardoise. Aux abords étaient agglomérées quelques constructions plus récentes, maison de ferme et bâtiment d’exploitation, le tout au surplus très modeste. Un brouillard bleu qui s’élevait à travers les arbres indiquait qu’il y avait exceptionnellement dans ce bas-fond du pays quelque chose au moins comme un cours d’eau ; une longue avenue marécageuse, sorte de prairie mouillée bordée de saules, menait directement de la maison à la mer.

— Ce que vous voyez Là, me dit le docteur en me montrant cet îlot de verdure isolé dans la nudité des vignobles, c’est le château des Trembles et l’habitation de M. Dominique.

Cependant M. Dominique allait rejoindre ses vendangeurs et s’éloignait paisiblement, son fusil désarmé, suivi cette fois de ses chiens à bout de forces ; mais à peine avait-il fait quelques pas dans le sentier labouré d’ornières qui menait à ses vignes que nous fûmes témoins d’une rencontre qui me charma.

Deux enfans dont on entendait les voix riantes, une jeune femme dont on voyait seulement la robe d’étoffe légère et l’écharpe rouge, venaient au-devant du chasseur. Les enfans lui faisaient des gestes