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grave ; mais épouser la liberté et le bonheur d’une autre !… Il y a quelques années que je réfléchis là-dessus, et la conclusion, c’est que je m’abstiendrai.

Le soir même de cette conversation, qui mettait en relief une partie des sophismes et des impuissances de M, d’Orsel, celui-ci quitta les Trembles. Il partit à cheval, suivi de son domestique. La nuit était claire et froide.

— Pauvre Olivier ! dit Dominique en le voyant s’éloigner au galop de chasse dans la direction d’Orsel.

Quinze jours après, ce devait être au milieu de novembre, le facteur rural entra le matin, et remit à Dominique une lettre cachetée de noir. Dominique, en la lisant, devint très pâle ; puis il passa sur la terrasse, en nous faisant signe de laisser les enfans au salon.

— Voici des nouvelles d’Olivier, dit-il ; j’étais certain qu’il en viendrait Là.


« Orsel, novembre 18…

« Mon cher Dominique,

« C’est bien véritablement un mort qui t’écrit. Ma vie ne servait à personne, on me l’a trop répété, et ne pouvait plus qu’humilier tous ceux qui m’aiment. Il était temps de l’achever moi-même. Cette idée, qui ne date pas d’hier, m’est revenue l’autre soir en te quittant. Je l’ai mûrie pendant la route. Je l’ai trouvée raisonnable, sans aucun inconvénient pour personne, et mon entrée chez moi, la nuit, dans un pays que tu connais, n’était pas une distraction de nature à me faire changer d’avis. J’ai manqué d’adresse, et n’ai réussi qu’à me défigurer. N’importe, j’ai tué Olivier. Le peu qui reste de lui attendra son heure. Je quitte Orsel et n’y reviendrai plus. Je n’oublierai pas que tu as été, je ne dirai pas mon meilleur ami, je dis mon seul ami. Tu es l’excuse de ma vie. Tu témoigneras pour elle. Adieu, sois heureux, et si tu parles de moi à ton fils, que ce soit pour qu’il ne me ressemble pas.

« Olivier. »


Vers midi, la pluie se mit à tomber. Dominique se retira dans son cabinet, où je l’accompagnai. La lettre d’Olivier avait amèrement ravivé certains souvenirs qui n’attendaient qu’une circonstance décisive pour se répandre. Je ne lui demandai point ses confidences ; il me les offrit. Et comme s’il n’eut fait que traduire en paroles les mémoires chiffrés que j’avais sous les yeux, il me raconta sans déguisemens, mais non sans émotion, l’histoire suivante.