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Mme Swetchine, une contemporaine d’hier, dont M. de Falloux a raconté tout d’abord la Vie et divulgué quelques fragmens avant d’en venir à publier sa correspondance, laisse entrevoir dans ses Lettres une nature singulièrement compliquée d’une originalité tout intérieure. Quant à Mme de Sévigné, elle resplendit dans la liberté native de son génie, dans sa grâce de femme du monde supérieure et d’écrivain incomparable.

On aime les lettres en France, on les a toujours aimées, surtout celles des femmes qui ont un accent plus enjoué ou plus pénétrant. On aime les lettres, parce qu’elles sont comme le journal des secrets d’une société, et aussi parce qu’elles sont souvent la révélation familièrement saisissante d’une nature personnelle douée de vie et d’originalité. Malheureusement les lettres mêmes de Mme de Sévigné montrent ce qui arrive quelquefois de ces divulgations des confidences les plus intimes. Le premier qui les recueillit et les édita en 1734 et en 1754, le chevalier de Perrin, n’écoutant que le goût du jour et les inspirations de Mme de Simiane, petite-fille de Mme de Sévigné, corrigea, arrangea, supprima, si bien qu’après un siècle il a fallu une série de recherches et de travaux pour revenir au texte primitif en le complétant par ce qui était inconnu. Tous les éditeurs de lettres, même aujourd’hui, ressemblent plus ou moins assez souvent à ce chevalier de Perrin. Ils ne corrigent plus, il est vrai, par excès de purisme, comme on faisait au dernier siècle ; ils ont du moins des parties réservées, ils s’arrêtent au moment peut-être où la confidence allait devenir piquante. Ils ont les meilleures raisons sans doute, les convenances des familles, la peur de blesser des contemporains ; seulement le résultat bien clair, c’est que celui ou celle dont on divulgue ainsi les lettres intimes, sans subir une altération radicale, n’arrive au public qu’assez incomplètement. C’est bien le personnage, mais ce n’est pas tout le personnage ; c’est sa pensée et ce n’est pas toute sa pensée. Il y a une légère transfiguration ou des lacunes que le temps est chargé de dissiper ou de combler en remettant toute chose à sa place et dans sa lumière, même ces noms de femmes qui se succèdent dans l’histoire mondaine comme pour marquer les étapes de la société française.

Qu’elles s’appellent Mme de Sévigné et Mme de Staël ou même Mme Swetchine et Mme Récamier, qu’elles aient du génie ou simplement un esprit habile, elles représentent quelque chose dans notre monde, ces femmes que tout sépare, à n’observer que leur nature, que le hasard seul rapproche un instant en mêlant les livres qui parlent d’elles, et c’est assurément une-idée heureuse de commencer une collection des grands écrivains de la France par celle qui fut un grand écrivain sans le savoir, qui eut jusqu’à la perfection tous