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les dons français. Rien n’a manqué à Mme de Sévigné, ni la renommée retentissante, ni les commentateurs savamment et utilement minutieux, comme M. Walckenaer, ni les scoliastes, ni les adorateurs, ni les éditeurs intelligens depuis le chevalier de Perrin. Il ne lui manquait qu’une édition vraie, et complète de ses lettres. Cette édition va exister désormais. Elle a été préparée par M. Monmerqué, qui a passé sa vie à en rassembler les élémens ; elle a été continuée par M. Adolphe Régnier, qui lui-même a eu des collaborateurs dans cette œuvre patiente, et enfin elle est entreprise par un éditeur expérimenté. Une copieuse biographie écrite par M. Paul Mesnard, auteur d’une Histoire de l’Académie française, est comme le prologue naturel et instructif de ce livre, où revit tout entier le plus charmant esprit.

Ce n’est pas que cette édition nouvelle fasse apparaître tout à coup une Sévigné inattendue ; c’est simplement une restitution de ce qui était inconnu, des passages supprimés, des tours de langage altérés ou corrigés. En un mot, c’est une Sévigné, non point nouvelle et différente de celle qu’on connaît, mais reparaissant dans sa spontanéité première, avec ses vivacités, ses abandons, ses négligences familières, ses hardiesses et quelquefois ses libertés de tout genre, dont s’effrayait le purisme du chevalier de Perrin. L’originalité de Mme de Sévigné est justement dans ce mélange de dons familiers qui n’ont rien d’un auteur, qui sont simplement les dons d’une nature supérieure se prodiguant sans effort. Elle ne raisonne pas et ne se perd pas dans la quintessence ; elle raconte, elle peint, elle cause dans ses lettres, reflet multiplié de sa souriante image, chronique légère de la cour et de la ville, tracée chaque jour d’une plume qui s’en va « la bride sur le cou. » Elle n’est elle-même que la première et la plus charmante figure parmi tous ces personnages qui se pressent dans sa correspondance et qu’on croit presque reconnaître pour les avoir vus : le bon abbé de Coulanges, son tuteur et l’administrateur de sa fortune, qui comptait et calculait si bien avec ses jetons ; l’obligeant d’Hacqueville, qu’elle appelait les d’Hacqueville pour caractériser son inépuisable empressement à se multiplier pour ses amis ; le petit Coulanges, ce bonhomme d’esprit et de jovialité qui a laissé des mémoires et qui avait suivi, dans son ambassade à Rome, le duc de Chaulnes, dont les dépêches seraient curieuses, même aujourd’hui ; la jolie et spirituelle Mme de Coulanges, celle qu’on appelait la Feuille, la Sylphide, « la plus frivole et la plus légère marchandise que vous ayez jamais vue, » et Mme de La Fayette et M. de La Rochefoucauld, ses amis du faubourg, sans compter la belle et difficile Mme de Grignan, sa fille, son unique passion, et son fils Charles de Sévigné, cet aimable fou dont elle