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rales. Il faut convenir que M, de Meaux prenait là le Traité par son faible le plus apparent. On se disputa là-dessus près d’une heure assez vivement de part et d’autre; mais enfin le père Malebranche ayant développé ses principes, qui démontrent que, dans son système, Dieu a autant de prédilection pour ses élus que dans celui des congruistes, si bien reçu dans les écoles, M. de Meaux lui dit qu’il penserait à ses réponses, et que s’il y trouvait encore des difficultés, il les lui proposerait. On se quitta sans aller plus loin, assez content l’un de l’autre. »


Bossuet renonça décidément à écrire contre Malebranche, jugeant dans sa modération un peu hautaine qu’il suffisait de charger Fénelon, alors encore son ami, de réfuter le système de l’oratorien. Nous avons cette Réfutation annotée de sa main; mais ce qui acheva de calmer Bossuet, c’est que, sa grande querelle avec Fénelon étant venue à éclater, Malebranche prit parti contre l’archevêque de Cambrai[1], sur quoi Bossuet alla visiter Malebranche, le complimenta sur son livre et lui offrit son amitié. Tel fut le dénoûment de cette lutte. Faut-il, avec le biographe, y admirer la simplicité touchante de Bossuet? Bossuet avait l’âme grande, il est vrai; mais il était homme et théologien, et peut-être valait-il mieux attendre un meilleur moment pour célébrer sa simplicité. Malebranche n’en fut pas quitte à si bon compte avec Arnaud. Leur polémique dura toute leur vie, et même, la mort ayant fermé la bouche à l’un des antagonistes, l’autre ne put s’empêcher de continuer le débat. Le dernier historien de Port-Royal a raconté cette lutte[2] avec la connaissance la plus complète de toutes les parties du sujet, sans parler de cette finesse d’analyse et de cette verve qui n’appartiennent qu’à lui. On ne refait pas les récits de M. Sainte-Beuve; nous n’avons qu’à y ajouter quelques particularités nouvelles fournies par les documens qu’il n’a pas connus.

Voici d’abord les préludes du combat. Au premier volume de la Recherche de la Vérité, Arnaud applaudit de bon cœur (1674). Le second volume (1675) lui agrée moins. Viennent en 1677 les Petites Méditations. Arnaud trouve que Malebranche a trop d’égards pour la pure raison. De son côté, Malebranche se plaint de l’obscurité des écrits de Port-Royal sur la grâce, et déclare nettement que le véritable Augustin diffère de l’Augustin d’Ypres. Il y a plus : le père Levasseur, ami et partisan de Malebranche, dit, dans ses conférences de Saint-Magloire, que Jansénius, en lisant saint Augustin, s’est servi des lunettes de Calvin[3]. Sur cela, le père Levasseur propose une conférence. Le marquis de Roucy invite Malebranche

  1. Dans un petit traité de l’Amour de Dieu écrit pour répondre à dom Lamy qui s’était prévalu d’un passage de Malebranche eu faveur de Fénelon.
  2. Port-Royal, pur M. Sainte-Beuve, tome V, livre VI.
  3. Manuscrit de Troyes.