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l’invective éloquente de Bossuet[1] que le système des volontés générales n’empêche pas l’action divine de pénétrer sûrement jusqu’au dernier détail des choses, car les effets les plus particuliers sont compris dans les lois les plus générales. La vérité est que l’attaque de Bossuet portait à faux, car si Malebranche mérite un reproche, ce n’est pas de trop accorder à la volonté des causes finies, c’est bien plutôt de ne pas lui accorder assez, et de rapporter tout à la puissance unique de Dieu.

Arnaud, en attaquant la théologie de Malebranche par ses principes philosophiques, ne frappait pas beaucoup plus juste, du moins quand il se portait l’adversaire des idées platoniciennes, y substituant des vues tout aussi particulières et beaucoup moins solides, fort suspectes même d’aboutir à un nominalisme assez mesquin. La question devient plus obscure et plus compliquée quand il s’agit de l’incarnation de Dieu, de l’âme de Jésus-Christ considérée comme cause occasionnelle de la dispensation de la grâce; mais le point le plus délicat, c’est la question du miracle. Il est évident qu’un chrétien ne peut pas nier la possibilité du miracle en général, et qu’il ne peut pas en outre refuser d’admettre certains miracles, tels par exemple que la naissance, la résurrection et l’ascension de Jésus-Christ. Malebranche en était-il à les contester? On l’aurait fait mourir de chagrin, si on lui avait seulement posé la question.

Malebranche croyait de tout son cœur que Dieu peut faire des miracles, j’entends des miracles éternellement prémédités, des miracles liés à l’ensemble de ses voies. Il croyait de plus que Dieu en a fait réellement, un surtout, le plus grand de tous, dont les autres sont le prélude ou la conséquence, l’incarnation; mais avec cela Malebranche persistait à soutenir que Dieu fait le moins de miracles possible. Autant d’autres en supposent Dieu prodigue, autant, lui, il l’en croit avare. Par conséquent il se défie du merveilleux en religion. Disons-le nettement, il ne l’aime pas, persuadé que la multiplicité des miracles, loin de dévoiler Dieu, l’obscurcit, et que la Divinité ne se montre jamais plus à découvert que dans la simplicité des lois naturelles.

Ce n’est pas Malebranche qui de nos jours encouragerait les petits miracles. Ce n’est pas lui qui les recommanderait aux fidèles comme pour en stimuler la production. Ce n’est pas lui qui croirait aux tables tournantes et y découvrirait avec fracas l’action surnaturelle du démon. Jugez de ses sentimens par deux lettres curieuses que M. l’abbé Blampignon a découvertes dans le manuscrit de

  1. Dans le passage cité plus haut, l’oraison funèbre de la reine Marie-Thérèse.