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en renom, qui tout récemment nous signalait dans la risible supercherie des tables tournantes le plus grand événement du siècle ou de tel autre personnage constitué en dignité, qui nous démontrait hier avec onction que Dieu est sorti de son éternité pour faire apparaître à quelque enfant idiote ou malade je ne sais quel fantôme éclatant de blancheur?

C’est ici peut-être l’occasion naturelle de tirer quelque conclusion utile de ces recherches intéressantes qui ont ramené l’attention publique sur un des chrétiens les plus sincères et les plus illustres du grand siècle. Nous ne sommes point théologien; nous n’avons pas à prendre parti entre Bossuet et Malebranche, L’église d’ailleurs n’a point parlé, car la congrégation de l’Index n’est pas l’église et Malebranche n’a pas cru que la décision de ce tribunal l’obligeât à se rétracter. Il a pensé que des motifs temporels avaient pu avoir quelque part à cette affaire, et il s’est replié derrière la règle de l’église gallicane, qui veut que les décrets de l’Index n’aient point chez nous force de loi. A l’heure qu’il est, un ecclésiastique instruit, tel que l’honorable abbé Blampignon, jugerait-il utile de publier une édition complète de Malebranche (et nous espérons bien que cette édition fera partie de la publication si heureusement inaugurée des grands écrivains de la France), il n’y aurait à cette entreprise aucun inconvénient insurmontable[1]. Ainsi, même pour un chrétien docile aux décisions de l’église, le débat reste ouvert, à plus forte raison pour celui qui regarde cette question du côté purement philosophique, et s’interroge, en moraliste ami de la civilisation, sur le mouvement religieux du monde et sur la marche du christianisme à travers notre siècle agité. A ce point de vue, il y a ici une grave question. Les défenseurs naturels de la religion chrétienne sont en présence de deux grands faits : le progrès de la société civile, le progrès de la science. Pour parler surtout de celui-ci, il est assez clair que, depuis Copernic jusqu’à nos jours, en passant par Kepler, Galilée, Descartes, Newton, Laplace, Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, l’univers se présente à l’esprit moderne comme régi par des lois qui, à chaque conquête nouvelle de l’observation et du calcul, paraissent plus constantes, plus générales, plus simples, plus harmonieuses. La face du cosmos s’agrandit et se simplifie. Les lois de notre univers sont celles de tous les mondes. Les différens règnes se rapprochent par des dégradations insensibles et des analogies cachées. Un même dessein, varié avec délicatesse, donne

  1. M. Blampignon a trouvé à l’Arsenal, dans les manuscrits du père Adry, une liste complète de tous les écrits de Malebranche, grands et petits traités, réponses et répliques à Arnaud, etc.; ce travail serait d’un grand secours à un éditeur sérieux des œuvres de Malebranche, car l’édition de MM. de Genoude et Lourdoueix ne compte pas, elle est trop incomplète et d’une exécution d’ailleurs trop négligée et trop défectueuse.