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La vertu même de Mme de Sévigné est très vraie, très humaine et charmante ; elle n’a rien de maussade et de guindé. L’aimable personne ne se surfait pas, elle ne se défend pas d’avoir eu quelquefois le cœur ému, d’être sensible à la belle galanterie, et comme elle est bonne avec toute sa malice native, elle pardonne vite à ceux-là mêmes qui lui font du mal : — à Bussy, qui avait livré à tous les commentaires indiscrets le portrait mis dans l’Histoire amoureuse des Gaules ; à Fouquet, qui avait laissé dans sa compromettante cassette quelques billets qu’il avait reçus d’elle. Avec Bussy, elle se venge le plus plaisamment du monde, en forçant le médisant personnage à s’humilier devant elle, à déposer les armes, et puis elle reste plus que jamais son amie, car elle a du goût pour ce Rabutin, qui est de sa famille, avec qui elle se sent des affinités d’esprit. Avec Fouquet, elle ne se venge pas ; elle suit d’un intérêt ardent, toutes les péripéties du procès du surintendant, du « cher ami ; » du « cher malheureux. » Elle cherche à se trouver sur son passage et en le voyant elle a le cœur saisi. Sentiment tendre survivant ou générosité, ce n’est point certes d’une femme vulgaire d’épouser si chaudement la cause du disgracié. Pour de la coquetterie, Mme de Sévigné en a sans doute dans sa manière d’entendre la vie, mais avant tout elle est vraie de cette vérité qu’elle porte partout avec elle, comme le signe d’une nature exquise et abondante faite pour tout comprendre et pour tout sentir.

Est-elle à Paris, elle se plaît au mouvement du monde ; elle est à l’aise au milieu de tous ces bruits de cour, dont elle est l’écho familier et piquant ; elle s’intéresse aux modes ou à un sermon de Mascaron, aux aventures de M. de Lauzun, à la goutte de M. de La Rochefoucauld ou aux distractions de M. de Brancas. Il n’est pas de mondaine plus affairée. Est-elle à Livry un jour de semaine sainte, le cœur encore serré du départ récent de sa fille, elle se replie un instant en elle-même, et elle rend en quelque sorte visible cette heure furtive de recueillement. « J’ai trouvé de la douceur dans la tristesse que j’ai eue ici, écrit-elle, une grande solitude, un grand silence, un office triste, des ténèbres chantées avec dévotions, un jeûne canonique et une beauté dans ces jardins dont vous seriez charmée. Tout cela m’a plu… » Est-elle aux Rochers, elle a l’impression soudaine de cette vie plus libre de la campagne, comme aussi des ridicules provinciaux, de la rude nature de cette « immensité de Bretons, » parmi lesquels il y a pourtant des gens d’esprit. Les Rochers lui plaisent. « Combourg n’est pas si beau, » dit-elle ; Combourg, c’est le château où s’écoulera l’enfance de Chateaubriand. On l’a, il est vrai, accusée d’être bien grande dame, de parler d’un ton bien leste des penderies de ces pauvres Bretons qui