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sur les amours de son fils, ces largeurs d’expression, ces négligences familières qu’on a voulu corriger, atténuer ou élaguer pour ne pas compromettre la grande dame du temps de Louis XIV mais qui reparaissent dans l’édition nouvelle, et qui en reparaissant ne font que mieux montrer cette riche nature, cette humanité ondoyante et libre d’une femme dont le génie, fleurissant en pleine société polie, a ses racines dans le vieux sol de notre patrie.

Voir le monde, le peindre et se peindre soi-même, c’est à cela que Mme de Sévigné passe sa vie pendant cinquante ans, gardant jusqu’au bout cette verve étincelante d’une imagination spontanée et heureuse, et cette originalité charmante d’une nature saine jusque dans ses hardiesses. Le monde s’est évanoui ; ce type de grâce est resté comme le produit le plus exquis d’un grand siècle, comme une des expressions les plus séduisantes de cette puissance des femmes qui se transforme sans être emportée par les révolutions. Changez les temps en effet : cette puissance s’exerce dans des conditions différentes, elle prend d’autres figures, d’autres noms, et même, dans une société aussi prodigieusement renouvelée que la nôtre, elle a encore sa place ; elle s’appellera Mme Récamier ou Mme Swetchine, après s’être appelée au commencement du siècle du nom de Mme de Staël, cette intelligente et énergique proscrite de l’empire, qui représente si bien l’alliance de la littérature, de la politique et de l’esprit mondain. Je ne veux point dire que Mme Récamier et Mme Swetchine ont recueilli tout entier cet héritage, qu’elles égalent Mme de Sévigné ou Mme de Staël ; elles ont cela de curieux que, dans un monde assez bouleversé par les événemens et assez confus, elles ont été deux très exceptionnelles personnifications contemporaines de cette influence sociale des femmes, et comme tout se hâte de nos jours, elle ont eu à peine fermé les yeux qu’elles ont eu une légende, des historiens, des commentateurs. Il y a quelques années de cela, on ne connaissait pas Mme Swetchine ; son nom était sans écho hors des régions où elle vivait. Elle est connue aujourd’hui, ou du moins son nom, ses actions, ses fragmens, ses notes, ses confidences intimes, sont livrés comme un mystère provoquant à la curiosité du monde. Elle a trouvé en M. de Falloux son hagiographe, son chevalier de Perrin, empressé à recueillir et à divulguer ses lettres. Elle n’est pas célébrée seulement pour ses vertus, pour sa piété austère et pour tout ce qu’elle a le respectable, mais encore pour son intelligence et pour la supériorité de son esprit. C’est tout à la fois une sainte et une mondaine qui en un instant passe de l’obscurité au rang des écrivains, et comme pour ajouter à tout ce que ce phénomène a d’inattendu, cette émule de Mme Récamier dans l’administration d’un salon, cette rivale de