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de bétail. Ceci bien expliqué, je ne crains pas de dire que, pour le Mexique, il est heureux d’être presque uniquement peuplé de blancs et d’Indiens et de leurs croisemens, à l’exclusion du sang africain. L’Indien a spontanément le goût du travail plus que le noir, et par les facultés de l’esprit il l’emporte manifestement sur lui. Si l’on met en parallèle la civilisation à laquelle étaient parvenus les Aztèques dans un nombre restreint de siècles[1] avec la grossière barbarie des royaumes nègres les plus remarquables qu’il y ait eu en Afrique, on sera frappé de la supériorité des premiers. Cortez trouva chez eux non-seulement un grand nombre d’arts utiles, mais un certain développement des beaux-arts, avec des lois régulièrement pratiquées et un grand nombre de villes populeuses dont l’existence même supposait un certain avancement de la sociabilité et un système administratif déjà perfectionné. Ce qui est plus significatif encore, les Aztèques possédaient une littérature dont quelques débris sont venus jusqu’à nous et offrent un véritable intérêt. Ils avaient quelques notions des sciences, et par exemple ils savaient la longueur de l’année mieux que les Européens eux-mêmes à cette époque, ce qui a excité l’étonnement et l’admiration de l’illustre Laplace[2]. Quant au moral, ils déployèrent dans la défense de leur pays contre les Espagnols des qualités héroïques[3] dont on

  1. Les Aztèques n’étaient venus au Mexique qu’à la fin du XIIe siècle de l’ère chrétienne, et la fondation de Mexico n’est que du XIVe. Si l’on veut embrasser l’espace de temps occupé par les Toultèques, il faudrait remonter jusqu’au VIIe siècle.
  2. Leur méthode d’intercalation pour tenir compte de la fraction de jour qui entre dans la durée exacte de l’année était équivalente, à très peu près, à celle que la réforme grégorienne a établie soixante ans après la prise de Mexico. Par celle-ci, on intercale 24 jours en cent ans, ou plutôt 97 en 400 ans; les Aztèques en intercalaient 25 en 104 ans. La longueur de l’année est de 365 jours, plus une fraction représentée par 5 heures 48 minutes 49 secondes. Cette fraction de près d’un quart de jour par an, qui oblige à l’intercalation d’un jour entier ou d’un certain nombre de jours après une certaine période, était supposée, dans le calendrier introduit par Jules-César, d’un quart tout juste. On se trouvait ainsi en avance, sous le pape Grégoire XIII, de dix jours. La réforme grégorienne, décrétée en 1582, qui intercale un jour tous les quatre ans, sauf aux années séculaires, pour lesquelles toutefois l’exception n’a lieu que trois fois sur quatre, suppose que cette fraction est de 5 heures 49 minutes 12 secondes. L’année moyenne du calendrier grégorien est donc trop forte de 23 secondes, soit un jour en quatre mille ans. Chez les Mexicains, l’année moyenne mettait cette fraction à 5 heures 46 minutes 9 secondes. Leur année moyenne se trouvait ainsi conforme au calcul célèbre des astronomes du calife Almamoun. Laplace, frappé de cette approximation des Mexicains, aurait voulu l’attribuer à quelque communication avec l’Asie; mais il fut arrêté par une réflexion fort judicieuse. « Pourquoi, dit-il, si cette détermination aussi exacte de la longueur de l’année leur a été transmise par le nord de l’Asie, ont-ils une division du temps si différente de celles qui ont été en usage dans cette partie du monde? » Le mieux est donc de croire que cette estimation était l’ouvrage des peuples de Mexico eux-mêmes.
  3. Par une contradiction bizarre, ces signes irrécusables de la civilisation étaient associés à un épouvantable usage, celui des sacrifices humains. D’après les témoignages de l’histoire, on est autorisé à penser que ce n’était pas le legs d’une barbarie primitive dont ils n’auraient pas su secouer la tradition : il parait que c’était l’effet d’une horrible superstition venue après coup, ou bien un moyen d’intimidation imaginé par des prêtres impitoyables pour le maintien de leur domination.