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quelles nous avons joui d’une prospérité sans exemple. En conséquence, c’est un hommage que nous devons à la vérité et à notre désir de continuer nos relations amicales avec les puissances alliées, de déclarer que nous considérerions comme dangereux pour notre repos et pour notre sûreté toute tentative qu’elles feraient pour étendre leur système à une portion quelconque de cet hémisphère. Nous nous sommes abstenus d’intervenir dans les colonies ou dépendances réelles des différens états européens, et nous ferons de même à l’avenir ; mais pour ce qui est des états qui ont proclamé et fait prévaloir leur indépendance, et dont après pleine considération, et conformément à de Justes principes, nous avons reconnu l’indépendance, nous ne pourrions regarder que comme une manifestation de sentimens hostiles aux États-Unis toute intervention qui aurait pour objet de les opprimer ou d’en contrôler de quelque manière que ce fût les destinées. Pendant la lutte qui a eu lieu entre ces nouveaux gouvernemens et l’Espagne, nous nous sommes déclarés neutres ; au moment même où nous les reconnaissions, nous avons observé la neutralité, et nous y persisterons, pourvu qu’il ne se produise aucun changement qui, dans l’opinion des pouvoirs constituant notre gouvernement, soit de nature à rendre indispensable à la sécurité des États-Unis un changement correspondant de notre part. »


Tels sont les termes dans lesquels s’est produite cette doctrine dite de Monroë. À la rigueur, on peut y donner plusieurs interprétations différentes. Ce que l’Amérique du Nord déclarait à l’Europe par l’organe de son président, qu’elle considérerait comme une agression personnelle le fait de tenter d’étendre à une partie quelconque de l’Amérique émancipée le système de l’Europe, et d’en contrôler de quelque manière que ce fût les destinées, peut s’entendre de deux manières : on peut soutenir qu’il s’agit de la tentative de restaurer, dans quelqu’une des parties de l’Amérique espagnole ou portugaise, l’autorité de la Péninsule. On peut prétendre aussi qu’on a voulu prévoir le cas où se produirait le projet d’y fonder des monarchies, même parfaitement indépendantes, même dotées d’institutions représentatives. De ces deux versions, que la grammaire autorise, laquelle est la vraie ? Nous croyons qu’un esprit sage, tel qu’était M. Monroë, qui connaissait l’Europe et qui savait respecter la liberté d’autrui, ne songeait pas à la seconde. Au surplus, le cours des événemens fournit un commentaire suffisamment clair des paroles de M. Monroë et du sens qu’on y attachait à Washington. On a la preuve que ce que voulait M. Monroë, ce qu’on voulait en 1823 dans les conseils de la grande république américaine, c’était d’assurer et de garantir de toute atteinte l’indépendance conquise par l’Amérique continentale espagnole et portugaise, et qu’on ne se proposait aucunement d’y empêcher la formation d’établissemens monarchiques. Cette preuve, c’est que déjà l’on avait accepté