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elle s’est prise d’une affection toute maternelle pour le fils d’Elias, ce jeune homme si beau, si doux, si appliqué, si reconnaissant.

Élevé dans un couvent, promis à l’église, ce jouvenceau nous apparaît tout d’abord cheminant en habits de gala vers Rotterdam. La ville est en fête, et Gérard y porte une lettre de recommandation de sa protectrice, qui le signale aux bontés de la jeune duchesse Marie. Un vieillard pauvrement vêtu, une jeune fille au bras de laquelle il s’appuie, suivent à pied le même chemin. L’un est à bout de forces, et l’autre se désespère. Derrière eux se prélasse sur sa mule caparaçonnée d’écarlate, une bourse à la ceinture et bien emmitouflé dans sa tunique fourrée de vair, maître Ghysbrecht van Swieten, le bourgmestre de Tergou. Sachez-le d’avance, ce Ghysbrecht n’est rien moins qu’un honnête homme, et la vue du bon vieillard qu’il éclabousse en passant réveille en lui d’anciens remords. Si le vénérable bourgmestre eût été toujours probe. Peter Brandt que voilà ne serait pas dans la misère, et sa jolie fille Marguerite, la perle de Sevenbergen, ne se rendrait pas en aussi triste condition aux kermesses de Rotterdam. En revanche elle ne rencontrerait pas sur la grand’route le candide Gérard Eliassoen, enhardi à lui offrir son aide par l’embarras où il la voit, ils n’échangeraient pas ces paroles d’abord timides, puis de plus en plus amicales, et ce sourire d’intelligence qui les lie déjà l’un à l’autre.

Séparés à l’entrée de la ville et perdus ensemble dans la foule qui de tous côtés bruit et ruisselle, ces jeunes cœurs se retrouveront. C’est grâce à Gérard que Peter Brandt et Marguerite perceront la haie de sentinelles qui barre aux manans l’entrée de la stadt-house. Il a déjà été leur providence là-bas, sur le grand chemin, alors que le vieillard se sentait hors d’état d’avancer. Il l’est encore dans ce palais, où ils ne seraient point admis sans la précieuse lettre de la sœur des Van-Eyck. Grâce à ce merveilleux passeport, Gérard se trouve bientôt reçu chez la princesse Marie; il n’en sort qu’après avoir été comblé de présens, et avec la promesse très solennelle qu’aussitôt dans les ordres on lui procurera dans le voisinage de Tergou quelque opulente prébende. Le candide lévite s’en réjouit sans arrière-pensée, et Marguerite elle-même ne verrait dans cette chance d’avenir qu’un sujet de sincères félicitations. Ils ne savent guère, ni l’un ni l’autre, que leur destinée, à tous deux, vient de se sceller presque irrévocablement.

Ils auront beau s’aimer en effet, l’ambition de la famille, éveillée par la perspective maintenant ouverte, se placera d’abord entre eux; puis le vieux Ghysbrecht, qui a tout intérêt à laisser dans leur misère désarmée le malheureux Peter Brandt et sa fille, déterminera sans peine Elias à se montrer sévère. Le bourgmestre a d’ail-