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mysticisme subtil. C’est, à vrai dire, moins une femme dans le sens ordinaire qu’une façon de mère de l’église exerçant pour elle-même comme pour les autres, au dehors comme dans son salon, le ministère de la parole spirituelle, de la prédication quotidienne. C’est une directrice des consciences, et sous ce rapport ses lettres sont réellement d’une psychologie pénétrante, d’une casuistique très fine, très aiguisée. Elle excelle à juger les cas mondains, à décomposer les nuances les plus insaisissables de la vie morale, en un mot à couper un cheveu en quatre, si bien que Mme de Sévigné lui eût dit peut-être : « Épaississez-moi un peu la religion, qui menace de s’évaporer toute à force d’être subtilisée. »

Figurez-vous au milieu du monde, sous l’élégance grave et simple du vêtement, une femme catéchisant, travaillant à la conversion du pécheur, encourageant les uns, retenant les autres, toute mêlée à la politique de la religion. C’est un peu Mme Swetchine. Sa grande affaire, c’est de savoir quelle sera la position du successeur de M. de Quélen à l’archevêché de Paris, comment M. Dupanloup prendra cela. Son chagrin, c’est qu’un jésuite, le père D…, ait fait défection « Voilà ce que j’appelle du vrai nom de chagrin, dit-elle, chagrin aride, désolé, et qui porte une sorte de ravage au fond des âmes… » Et les journaux religieux, elle ne les oublie pas non plus. — Se font-ils la guerre ? se divisent-ils ? comment peut-on les faire vivre ? — On lui lit des articles qui vont paraître. Quoi donc encore ? Cette personne active ne dédaigne pas même de s’occuper du moral de notre armée, et elle fait remettre de petits livres de dévotion à un jeune soldat, à un caporal qui « aime Lacordaire, et dit le chemin de la croix par là-dessus. » Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que cette continuité de préoccupation intérieure a de la monotonie et n’est pas précisément l’idéal de l’agrément. Jusque dans l’enjouement de Mme Swetchine il y a du sermon, et on se la représente assez dans son salon portant une robe grise, sans beauté, puisqu’elle n’en eut jamais, ayant la parole d’abord un peu embarrassée, comme on le dit, puis bientôt insinuante, ne craignant nullement d’étendre ses relations au risque de les rendre incohérentes, et passant quelquefois en revue les jeunes femmes élégantes qui viennent défiler devant elle avant d’aller au bal, tandis que derrière le salon est un oratoire où veille une lampe à côté du saint-sacrement : image singulière du caractère même de la personne qui parvenait à concilier tant de choses diverses ! Mélange curieux et assurément nouveau d’édification et de vie mondaine, d’ascétisme intérieur et de recherche sociale !

Mme Swetchine, dans la carrière qu’elle s’était faite, dut nécessairement se trouver en contact avec quelques-unes des femmes qui ont