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du catholicisme. Les soufflets donnés aux idées fausses et aux mauvais moyens dont les hommes ont été dupes ne les guériront jamais eux-mêmes des incompétences qui ont faussé leur jugement. On aura beau passer des siècles à réfuter tous les systèmes d’autorité qu’ils ont inventés jusqu’ici, on n’obtiendra rien, si l’on ne s’attaque pas au principe d’erreur qui a été leur propre tort à eux, si on ne les force pas à s’apercevoir, à s’accuser et à se repentir du vice d’esprit qui les a condamnés à n’imaginer que des formes de contrainte, et qui, tant qu’il demeurera en eux, les ramènera fatalement à en imaginer de nouvelles ou à reprendre les anciennes. Les enseignemens n’avaient certes pas manqué au passé : oligarchie, monarchie, théocratie, démocratie, toutes les combinaisons de la mécanique qui vise à régler la société comme une montre ont pris la peine elles-mêmes de révéler successivement aux plus incrédules qu’elles n’étaient pas le bon moyen de résoudre le problème social; mais le mauvais esprit était resté dans les âmes, et, en dépit de cette pénible expérience, il a continué à porter ses fruits. A chaque déception, les hommes se sont dit seulement qu’ils s’étaient trompés sur la règle qui était vraiment la règle par excellence, trompés sur le pouvoir qui était vraiment le régulateur infaillible, et, à peine délivrés de la servitude de la veille, ils se sont vite appliqués à décider quel autre maître ils devaient se donner, quel autre gouverneur ils devaient appeler à les conduire au bonheur et à tout faire marcher au mieux en les débarrassant eux-mêmes de la peine de bien penser et de bien vouloir. En littérature, en religion, en politique, c’est là l’histoire universelle. Comme nous, l’antiquité s’était lassée de la monarchie; comme nous, elle n’a chassé la tyrannie du palais d’un roi que pour la transporter dans le sein d’une assemblée, quitte à la reconduire plus tard dans quelque autre palais, et si la civilisation païenne a fini elle-même par périr, c’est qu’après avoir épuisé toutes les incarnations qu’elle était capable de concevoir pour le principe d’autorité, elle a été impuissante à découvrir aucune autre espèce d’arrangement qui pût mettre la société en état de fonctionner d’elle-même sans qu’on lui dictât ses fonctions. Au moyen âge et jusqu’au XVIIIe siècle, le même esprit poursuit régulièrement la même œuvre, et par cela seul qu’il n’accuse que ses méthodes, il ne fait que changer de méthodes. Après avoir proclamé la suprématie du pouvoir spirituel pour prévenir les abus des pouvoirs temporels, il ne voit rien de mieux que de rendre aux rois la dictature ou de la leur laisser reprendre pour prévenir les excès des seigneurs; après avoir cru à un pape qui garantissait à tous le ciel en fixant la vraie fui que tous devaient accepter sans jamais écouter leur raison, il croit à une autre autorité qui s’appelle le bon goût,