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gronder des rouages. Je pensais à ces effervescences qui me consumaient depuis plusieurs mois, à ce foyer intérieur toujours allumé, toujours brûlant, mais pour une application qui n’était pas prévue. Je regardai les vitres noires, le reflet des fourneaux ; j’écoutai le bruit des machines.

— Qu’est-ce qu’on fait là dedans ? me disais-je. Qui sait ce qui doit en sortir, si c’est du bois ou du métal, du grand ou du petit, du très utile ou du superflu ? — Et l’idée qu’il en était ainsi de mon esprit n’ajouta rien à un découragement déjà complet, mais le confirma.

J’avais couvert des rames de papier. Il y en avait une montagne accumulée sur ma table de travail. Je ne les considérais jamais avec beaucoup d’orgueil ; j’évitais ordinairement d’y jeter les yeux de trop près, et je vivais au jour le jour des illusions de la veille. Dès le lendemain j’en fis justice. J’en feuilletai au hasard des lambeaux : une fade odeur de médiocrité me souleva le cœur. Je pris le tout et le mis au feu. J’étais assez calme en exécutant ce sacrifice, qui en toute autre circonstance m’aurait coûté quelques regrets. En ce moment même, la réponse de Madeleine arriva. Sa lettre était ce qu’elle devait être, cordiale, tendre, exquise, et pourtant je restai stupéfait de me sentir au cœur un espoir déçu. Le flamboiement de tant de paperasses brûlées éclairait encore ma chambre, et j’étais debout, tenant à la main la lettre de Madeleine, comme un homme qui se noie tient un fil brisé, quand par hasard Olivier entra.

Il vit cet amas de cendres fumantes et comprit : il jeta un rapide coup d’œil sur la lettre.

— On se porte bien à Nièvres ? me dit-il froidement.

Pour prévenir le moindre soupçon, je lui tendis la lettre ; mais il affecta de ne point la lire, et comme s’il eût décidé que le moment était venu de me parler raison et de débrider largement une plaie qui languissait, sans résultat :

— Ah ça ! me dit-il, où en es-tu ? Depuis six mois, tu veilles, tu te morfonds : tu mènes une vie de séminariste qui a fait des vœux, de bénédictin qui prend des bains de science pour calmer la chair ; où cela t’a-t-il mené ?

— À rien, lui dis-je.

— Tant pis, car toute déception prouve au moins une chose : c’est qu’on s’est trompé sur les moyens de réussir. — Tu t’es imaginé que la solitude, quand on doute de soi, est le meilleur des conseillers. Qu’en penses-tu aujourd’hui ? Quel conseil t’a-t-elle donné, quel avis qui te serve, quelle leçon de conduite ?

— De me taire toujours, lui dis-je avec désespoir.

— Si telle est la conclusion, je t’engage alors à changer de système. Si tu attends tout de toi, si tu as assez d’orgueil pour supposer que