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mer. Tu n’as pas tort, parce qu’un sentiment comme le tien n’a jamais tort ; mais tu n’es pas dans le vrai, parce qu’une impasse ne mène à rien. Cependant, comme il n’y a dans la vie la plus bouchée que de fausses impasses, comme des carrefours les plus étroits il faut sortir en définitive, bon gré, mal gré, sinon sans avaries, tu sortiras de celui-ci, et tu n’y laisseras rien, je l’espère, ni ton honneur ni ta vie. Encore un mot, et ne t’en offense pas : Madeleine n’est pas la seule femme en ce monde qui soit bonne, ni qui soit jolie, ni qui soit sensible, ni qui soit faite pour te comprendre et pour t’estimer. Suppose un hasard différent : Madeleine serait une autre femme, que tu aimerais de même, exclusivement, et dont tu dirais pareillement : Elle, et pas une autre ! Il n’y a donc de nécessaire et d’absolu qu’une chose, le besoin et la force d’aimer. Ne t’occupe pas de savoir si je raisonne en logicien, et ne dis pas que mes théories sont affreuses. Tu aimes et tu dois aimer, le reste est le fait de la chance. Je ne connais pas de femme, pourvu que je la suppose digne de toi, qui ne soit en droit de te dire : Le véritable et l’unique objet de vos sentimens, c’est moi !

— Ainsi, m’écriai-je, il faudrait ne plus aimer ?

— Au contraire, mais une autre.

— Ainsi il faudrait l’oublier ?

— Non, mais la remplacer.

— Jamais ! lui dis-je.

— Ne dis pas : Jamais ; dis : Pas maintenant.

Et là-dessus Olivier sortit.

J’avais les yeux secs, mais une atroce douleur me tenaillait le cœur. Je relus la lettre de Madeleine ; il s’en exhalait cette vague tiédeur des amitiés vulgaires, désespérante à sentir quand on voudrait plus. Il a raison, cent fois raison, pensais-je en me répétant comme un arrêt sans appel l’agaçante argumentation d’Olivier. Et tout en repoussant ses conclusions de toute l’horreur d’un cœur passionnément épris, je me disais cette vérité irréfutable : Je ne suis rien à Madeleine, rien qu’un obstacle, une menace, un être inutile ou dangereux !

Je regardai ma table vide. Un monceau de cendres noires encombrait le foyer. Cette destruction d’une autre partie de moi-même, cette ruine totale et de mes efforts el de mon bonheur m’abattit enfin sous la sensation sans pareille d’un néant complet.

— À quoi donc suis-je bon ? m’écriai-je.

Et le visage caché dans mes mains, je restai là, les yeux dans le vide, ayant devant moi toute ma vie, immense, douteuse et sans fond comme un précipice.

Au bout d’une heure, Olivier me retrouva dans le même état,