Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

satisfactions qui n’ont rien de chimérique, ma vie se passera dans un équilibre parfait et sera comblée jusqu’à satiété.

— As-tu des nouvelles d’Ormesson ? lui demandai-je.

— Aucune. Tu sais comment l’histoire a fini.

— Par une rupture ?

— Par un départ, ce qui n’est pas la même chose, car nous avons gardé l’un de l’autre le seul regret qui ne gâte jamais les souvenirs.

— Et maintenant ?

— Maintenant ? Est-ce que tu sais ?

— Je ne sais rien : mais j’imagine que tu as dû faire ce que tu me recommandes.

— C’est vrai, dit-il en souriant.

Puis il devint sérieux, et me dit : Dans tout autre moment je te raconterais, mais pas aujourd’hui. L’air de cette chambre est plein d’une émotion respectable. Il n’y a pas de promiscuité permise entre la femme dont j’aurais à t’entretenir et celle dont il ne faut pas même prononcer le nom lorsqu’il est question de la première.

Le bruit d’un pas dans l’antichambre l’interrompit. Mon domestique annonça Augustin, qui venait rarement à pareille heure. La vue de cette ardente et inflexible physionomie me rendit en quelque sorte une lueur de courage. Il me semblait que c’était un renfort que le hasard m’envoyait dans un moment où j’en avais si grand besoin.

— Vous venez à propos, lui dis-je en faisant bonne contenance. Tenez, c’était bien la peine de me donner tant de mal. J’ai tout détruit.

Je lui parlais toujours un peu comme un disciple à son maître, et je lui reconnaissais le droit de m’interroger sur mon travail.

— C’est à recommencer, dit-il sans s’émouvoir autrement ; je connais cela.

Olivier se taisait. Après quelques minutes de silence, il passa la main dans ses cheveux bouclés, bâilla doucement, et nous dit : — Je m’ennuie, et je vais au bois.


X.

— Est-ce qu’il travaille ? me demanda Augustin quand Olivier nous eut quittés.

— Fort peu, et cependant il apprend comme s’il travaillait.

— Tant mieux ; il a séduit la fortune. Si la vie n’était qu’une loterie, reprit Augustin, ce jeune homme rêverait toujours les numéros gagnans.

Augustin n’était pas de ceux qui séduisent la fortune, ni qu’un numéro rêvé doit enrichir. Ce que je vous ai dit de lui peut vous