Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Trembles, et je t’emmène. Il ne sera pas difficile de les déterminer tous à venir y passer les vacances.

— Aux Trembles avec toi, Madeleine aux Trembles ! reprenait Olivier, dont cette brusque et téméraire décision renversait tous les plans de conduite.

— Cher ami, lui dis-je en me jetant follement dans ses bras, ne me dis rien, n’objecte rien ; je serai sage, je serai prudent, mais je serai heureux ; accorde-moi ces deux mois qui ne reviendront plus, que je ne retrouverai jamais ; c’est bien court, et c’est peut-être tout ce que j’aurai de bonheur dans ma vie.

Je lui parlai dans l’entraînement d’un désir si vrai, il me vit si ranimé, si transformé par la perspective inattendue de ce voyage, qu’il se laissa séduire, et qu’il eut la faiblesse et la générosité de consentir à tout.

— Soit, dit-il. En définitive, cela vous regarde. Je n’ai pas charge d’âmes, et c’est trop d’avoir à gouverner tout seul deux fous comme toi et moi.


XI.

Ces deux mois de séjour avec Madeleine dans notre maison solitaire, en pleine campagne, au bord de notre mer si belle en pareille saison, ce séjour unique dans mes souvenirs fut un mélange de continuelles délices et de tourmens où je me purifiai. Il n’y a pas un jour qui ne soit marqué par une tentation petite ou grande, pas une minute qui n’ait eu son battement de cœur, son frisson, son espérance ou son dépit. Je pourrais vous dire aujourd’hui, moi dont c’est la grande mémoire, la date et le lieu précis de mille émotions bien légères, et dont la trace est cependant restée. Je vous montrerais tel coin du parc, tel escalier de la terrasse, tel endroit des champs, du village, de la falaise, où l’âme des choses insensibles a si bien gardé le souvenir de Madeleine et le mien, que si je l’y cherchais encore, et Dieu m’en garde, je l’y retrouverais aussi reconnaissable qu’au lendemain de notre départ.

Madeleine n’était jamais venue aux Trembles, et ce séjour un peu triste et fort médiocre lui plaisait pourtant. Quoiqu’elle n’eût pas les mêmes raisons que moi pour l’aimer, elle m’en avait si souvent entendu parler, que mes propres souvenirs en faisaient pour elle une sorte de pays de connaissance et l’aidaient sans doute à s’y trouver bien.

— Votre pays vous ressemble, me disait-elle. Je me serais doutée de ce qu’il était, rien qu’en vous voyant. Il est soucieux, paisible et d’une chaleur douce. La vie doit y être très calme et réfléchie. Et