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— Un sonnet ? lui dis-je ; à quel propos ? Est-ce que j’en suis capable ?

— Oh ! pour cela oui, dit-elle en jetant un petit éclat de rire qui retentit dans le bois sonore comme un chant de fauvette.

Je rebroussai chemin, et, la suivant dans la contre-allée, toujours une épaisseur de taillis entre nous deux :

— Olivier est un bavard ! lui criai-je.

— Nullement bavard, dit-elle. Il a bien fait de m’avertir ; sans lui, je vous aurais cru une passion malheureuse, et je sais maintenant ce qui vous distrait : ce sont des rimes, ajouta-t-elle en insistant de la voix sur ce dernier mot, qui résonna comme une impertinence joyeuse.

— O Madeleine ! Madeleine ! répétai-je tout bas, épargnez-moi. Nous touchions au moment du départ, que je ne pouvais encore m’y résoudre. Paris me faisait plus peur que jamais. Madeleine allait y venir. Je l’y verrais, mais à quel prix ? Elle présente, je ne risquais plus de défaillir, du moins de tomber si bas ; mais pour un danger de moins combien d’autres surgiraient ! Cette vie que nous avions menée ici, cette vie de loisir et d’imprévoyance, silencieuse et exaltée, si constamment et si diversement émue, cette vie de réminiscences et de passions, tout entière calquée sur d’anciennes habitudes, reprise à ses origines et renouvelée par des sensations d’un autre âge, ces deux mois de rêve en un mot m’avaient replongé plus avant que jamais dans l’oubli des choses et dans la peur des changemens. Il y avait quatre ans que j’avais quitté les Trembles pour la première fois, vous vous souvenez peut-être avec quel dur détachement. Et les souvenirs de ces adieux, les premiers qu’il m’ait fallu faire à des objets aimés, se ranimaient à la même date, au même lieu, dans des conditions extérieures à peu près semblables, mais cette fois combinés avec des sentimens nouveaux, qui les rendaient bien autrement poignans.

Je proposai pour la veille même du départ une promenade qui fut acceptée. Ce devait être la dernière, et, sans prévoir l’avenir, je supposais, je ne sais trop pourquoi, que les chemins de mon village ne nous reverraient jamais ensemble. Le temps était à demi pluvieux, et par cela même, disait Madeleine, que son éducation de province avait aguerrie, très bien approprié à des visites d’adieux. Les dernières feuilles tombaient ; des débris roussâtres se mêlaient assez tristement à la rigidité des rameaux nus. La plaine, dépouillée et sévère, n’avait plus un brin de chaume sec qui rappelât ni l’été ni l’automne, et ne montrait pas une herbe nouvelle qui fît espérer le retour des saisons fertiles. Des charrues s’y promenaient encore de loin en loin, attelées de bœufs roux d’un mouvement lent et comme embourbées dans les terres grasses. À quelque distance