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de l’Amérique ont conservé, comme trace de leur origine et comme lien avec la race anglo-saxonne, la passion de ce jeu caractéristique. Il y a deux ans, onze cricketers anglais traversèrent l’Atlantique, se rendirent d’abord au Canada, puis aux États-Unis, défiant sur leur passage, ainsi que les anciens chevaliers, tous les joueurs du Nouveau-Monde, puis s’en revinrent en Angleterre, couleurs déployées. De toutes ces expéditions, la plus intéressante et la plus glorieuse est encore celle qui partit l’année dernière pour l’Australie. Depuis longtemps cette puissante colonie, la Nouvelle-Hollande, avait manifesté le désir de se mesurer avec l’Angleterre sur le champ du cricket. Plusieurs tentatives d’arrangement avaient échoué lorsqu’en 1861 deux riches habitans de Melbourne, MM. Spiers et Pond, prirent l’affaire en main et avancèrent une somme de 7,000 livres sterling comme garantie de leurs sérieuses intentions. Un intermédiaire, M. Mallam, fut envoyé par eux à Londres, où il se mit en communication avec les clubs de cricketers. Ses conditions étaient libérales : aux onze joueurs anglais qui voudraient traverser la mer, il proposait de payer tous les frais de voyage et de donner à chacun d’eux la somme de 150 livres sterling. Il y eut bien quelques objections, surtout la longueur de la traversée, — dix-sept mille milles d’eau à franchir ! Après tout, cet obstacle n’est pas de ceux qui arrêtent un Anglais, et l’affaire fut bientôt conclue. Onze champions choisis parmi les bons joueurs du royaume inscrivirent leurs noms sur la liste d’enrôlement. À peine cette décision fut-elle connue qu’elle souleva dans le pays un enthousiasme unanime. Les journaux lui donnèrent même les proportions d’un événement politique. Ce mot peut étonner au premier abord, mais il ne faut point perdre de vue que la Grande-Bretagne possède dans toutes les mers un vaste collier de colonies qui s’égrènerait bien vite, si le fil des communications et des bons rapports avec la métropole était un moment interrompu. Les Anglais, en hommes pratiques, ne considèrent donc point comme indifférentes les moindres occasions qui peuvent resserrer les liens entre la mère-patrie et la plus jeune de ses filles, l’Australie. Or quel terrain plus propre à cimenter l’alliance que celui du cricket, sur lequel se rencontrent toutes les sympathies de la même race, divisée par l’immensité des mers ? Les onze furent fêtés par un banquet d’adieu que leur donna le Surrey club, et le 18 octobre ils s’embarquèrent à Liverpool avec l’assurance que toute l’Angleterre aurait les yeux sur eux. Le repos de la traversée fut pénible pour des hommes habitués au mouvement et aux exercices du corps, Quand la mer n’était point trop agitée, ils jouaient entre eux sur le pont du steamer pour passer le temps et pour s’entretenir la main. Enfin ils arrivèrent en bonne santé le 24 décembre 1861 à Melbourne.