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vu à l’autre extrémité du monde une cité qui, sortie hier du fond des solitudes, compte déjà une population de cent soixante mille habitans, et possède des institutions qui, pour la culture du corps et de l’esprit, lui assurent des avantages inconnus aux plus grands états de l’Europe. Ces paladins de la bat apprendront en outre à la génération nouvelle qu’un abîme de dix-sept mille milles, agité par les vents et les tempêtes, n’est pas une barrière pour un Anglais quand il s’agit de jouer une partie de balle. De même que le cricket est le jeu favori des Anglais, le golf qu’on a qualifié de royal (royal game of golf), et le curling, qui se pratique sur la glace, sont les passe-temps des Écossais. Sans discuter avec les poètes et les romanciers des deux pays sur les mérites respectifs de ces divertissemens nationaux, on me permettra de changer le lieu de la scène. Ce qui étonna le plus Voltaire quand il débarqua pour la première fois à Gravesende fut d’y rencontrer un stade et des coureurs : il se crut « transporté aux jeux olympiques. » Que dirait-il donc aujourd’hui ?


II.

Le 2 décembre 1801, le chemin de fer Eastern countries railway m’avait laissé à l’entrée de la ville de Cambridge. Elle ne s’annonce de loin que par une ou deux flèches et par les tourelles de King’s College Chapel, qui s’élèvent au milieu de campagnes d’une platitude désolante. Je m’avançai avec respect vers cette ancienne cité, berceau moral de Newton, de Bacon, de Milton et de tant d’autres grands hommes. Malgré quelques curieux monumens et une assez belle rue, l’intérieur de la ville ne répondit point à mon attente. La Cam elle-même, presque aussi célèbre que le Tibre dans les annales classiques de l’Angleterre, n’est qu’un ruisseau paresseux traînant ses ondes boueuses et verdâtres. Au reste, ce n’était ni la ville ni même l’université qui m’attiraient cette fois à Cambridge ; c’était le désir de voir un running match (défi à la course) dans certaines conditions solennelles. Le bruit avait été répandu que le prince de Galles y assisterait. Je me rendis donc vers deux heures au fFenner’s Cricket ground, qui s’était converti ce jour-là en une lice pour les coureurs. L’entrée était assiégée par une foule d’étudians au milieu desquels le prince, coudoyé, rudoyé, inconnu, se fraya tant bien que mal un chemin en éclatant de rire. L’intérieur se trouvait déjà occupé, par cinq ou six mille spectateurs, parmi lesquels se distinguaient des gentilshommes campagnards du comté de Suffolk, des chefs de l’université et un nombre très considérable de femmes. On avait même construit pour ces dernières une grande estrade couverte. Au centre s’étendait un terrain plat de 440 mètres de circonférence, revêtu d’une herbe verte comme on n’en voit qu’en Angle-