Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont-elles pas plutôt moralement contemporaines de la loi salique ou de la loi ripuaire? — Tel est le système que s’est proposé l’auteur. L’idée fondamentale en peut être juste, mais l’exécution en est assurément délicate et périlleuse : l’âge d’un peuple se mesure, il est vrai, d’après sa sève et son avenir, et l’ignorance stérile des populations sauvages n’est pas une jeunesse véritable qu’on puisse assimiler à l’ardeur féconde des Germains du Ve siècle; mais appliquer sagement ces distinctions est une tâche qui demande beaucoup d’expérience et de tact historique. — Ce n’est pas toutefois un rapprochement forcé que celui qui amène l’auteur à étudier les législations criminelles des peuples germains ou Scandinaves concurremment avec celles de l’Angleterre et de notre Normandie au moyen âge; il y a eu là une communauté de sang entraînant une communauté réelle d’instincts et d’avenir.

Le système des paix et l’institution du jury, voilà les deux points de légitime comparaison qui s’offrent à l’auteur. Quant au premier, on en trouverait aisément les vestiges dans l’antiquité germanique, et l’antiquité scandinave le montre au grand jour. Tacite nous rapporte que, suivant les traditions des anciens Germains, « la Divinité descendait quelquefois parmi les hommes et se promenait au milieu des nations. C’étaient des jours d’allégresse, c’était une fête pour tous les lieux qu’elle daignait visiter : les guerres étaient suspendues; alors seulement ces Barbares connaissaient, alors seulement ils aimaient la paix et le repos. » La mythologie du Nord nous parle à peu près de même du passage du dieu Frey sur la terre. Frey commande et inspire la paix, et toutes les fois qu’on l’invoque, on doit faire cesser la guerre. Odin lui-même avait institué trois fêtes religieuses, une pour la victoire, mais les deux autres pour invoquer la fécondité de la terre et la paix. C’étaient les conseils de la religion; la loi n’avait fait que les adopter et les suivre. La criminalité du nord païen, que nous connaissons par un bon nombre de codes conservés jusqu’à nous, repose sur deux principes dont l’un est appelé à corriger l’autre : si tout homme libre a le droit de venger ses injures, tout homme libre revendique aussi, au nom d’un droit reconnu et consacré par les mœurs, le maintien de la sécurité ou de la paix qui doit le faire respecter, lui personnellement, par ses concitoyens. Celui qui ose attenter à cette paix cesse par là d’être revêtu lui-même de la protection ou de la paix qui le couvrait tout à l’heure; il est placé hors de la paix ou hors de la loi, outlaw ; il est proscrit, et à ce titre chacun peut le tuer. La religion et ensuite la loi ont attaché le privilège de la paix à certaines époques et à certaines fêtes de l’année, puis à certains lieux, comme les temples et les things ou assemblées publiques, puis à certaines fonctions de la vie publique et aux principales circonstances de la vie privée. Il y a eu la paix des fiançailles et celle des funérailles, celles de l’armée en campagne, du matelot sur la mer, du marchand sur la route, du vieillard au foyer. Et plus la loi a propagé de la sorte le domaine de la paix, plus ont reculé la barbarie et le désordre. Les efforts de la législation scandinave se montrent encore sous la forme des trêves ou réconciliations, soit temporaires, soit définitives, qu’elle réglemente et garantit, et qu’en certains cas elle impose. Tel est ce que les codes du Nord appellent le grid, sorte de réconciliation temporaire entre deux ennemis, qui équivaut pour le plus