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faible à un sauf-conduit. Le grid est encore proclamé à l’avance, si l’on craint quelque discorde, par exemple au commencement d’un repas en vue des querelles qu’amènera l’ivresse, à l’ouverture des jeux publics pour en bannir d’injustes vengeances, souvent enfin pour favoriser l’entrevue de deux ennemis dont l’un déclare offrir une composition. Or les vieilles coutumes de notre Normandie décèlent un pareil système de paix, reste des institutions Scandinaves établies dans cette province; elles mentionnent souvent la trêve de Dieu proprement dite, celle qui, suivant les prescriptions des conciles, réservait à la paix une portion de la semaine et les principales fêtes de l’année.

Après avoir cité avec soin et mis en lumière ces exemples, M. Albert Du Boys poursuit en Angleterre l’examen du système scandinave des paix. Non-seulement Guillaume le Conquérant laisse intactes les anciennes paix d’origine anglo-saxonne et danoise, mais il en établit de nouvelles en faveur des voyageurs et des marchands et leur donne une sanction par une pénalité sévère. M. Du Boys a examiné de près ces similitudes, et des rapprochemens qui lui étaient offerts il a fait jaillir des lumières nouvelles.

Quant au jugement par jury, dont l’élément constitutif est l’établissement du point de fait par les pairs et voisins de l’accusé à l’aide des simples lumières du bon sens, la décision du point de droit étant laissée à des hommes spécialement préparés et commis en qualité de juges ou de magistrats, les lois du Nord en offrent certainement l’embryon dans la double institution des domar et des quidr. Les quidr[1] sont pris dans le voisinage du lieu du crime ou de l’habitation de l’accusé, de vicineto, et choisis parmi les simples citoyens ses pairs; ils doivent se prononcer devant le tribunal sur la question de fait seulement, c’est-à-dire sur la culpabilité du prévenu. Il leur est défendu, comme on peut le lire dans le recueil islandais intitulé Gragas, de s’enquérir de la loi elle-même, de ses dispositions particulières pour le cas dont il s’agit, en un mot des conséquences légales de l’avis qu’ils croiront devoir émettre. Ils forment, pour ainsi parler, un jury d’examen. Les domar ou juges, de leur côté, bien qu’ils ne soient pas magistrats eux-mêmes, sont présidés par le magistrat suprême du pays et sont assistés par des juristes qui connaissent les formules et le texte de la loi. Ils donnent leur avis sur la peine méritée, et cet avis devient un verdict souverain. Ils forment un jury de jugement. Ce sont des élémens épars qui, en se réunissant, formeront le jury moderne; mais la transformation complète ne s’accomplira pour la première fois que sur le sol de l’Angleterre moderne. Ces germes qu’une centralisation hâtive étouffera dans le Nord resteront divisés et stériles tant qu’ils n’auront pas rencontré un sol rendu fécond par l’instinct de la liberté civile et politique.

Un autre point commun à l’Angleterre moderne et à l’ancien droit germanique, et que M. Du Boys a fait soigneusement ressortir, est la douceur de la procédure criminelle, comparée à la procédure inquisitoriale des peuples du Midi. La superstition avait conservé dans le Nord, il est vrai, des épreuves judiciaires; mais la torture n’y parut pas, sauf contre les esclaves.

  1. Qveda, prononcer, dire, est un mot norrène qui se retrouve dans l’ancien anglais: he quoth, il dit.