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Ce qui nous frappe encore comme un des côtés les plus neufs et les plus instructifs de cette histoire, c’est le jour qu’elle jette sur le rôle et la marche des idées religieuses. En prenant de haut son point de vue, M. Godwin résout bien des problèmes. Il peint, il définit admirablement la tournure que le christianisme avait prise vers la fin de la domination romaine, et la nouvelle transformation que les croyances subirent sous les Mérovingiens; il nous montre avec netteté l’espèce d’influence qu’elles ont eue sur les caractères et le cours des événemens. Quelques touches aussi suffisent à l’historien pour dessiner un trait curieux du caractère de Charlemagne; le grand empereur à son insu laisse bien percer son instinct germanique par l’amour qu’il a pour la cité de Dieu de saint Augustin, par la répugnance que lui cause le culte des images. Nous n’aurions qu’une objection à faire, et elle porte sur l’affinité que M. Godwin croit apercevoir entre la simplicité de l’arianisme et la simplicité du caractère germanique. Le Germain est sincère et naturel, il est simple dans ce sens; mais il ne l’est point, et ne l’a jamais été, si l’on entend par là qu’il soit exempt de mysticisme. Rien de plus frappant au contraire que la combinaison de ses instincts pratiques avec sa tendance aux rêveries enthousiastes. Il est l’homme du sentiment. sous tous les rapports, l’homme des exaltations morales comme des affections et des appétits terrestres. Il est la seule race qui, à l’état de barbarie, ait naturellement fait preuve de ce que j’appellerai l’instinct chrétien ou la qualité de la vieillesse, de la disposition à regarder en dedans, — la seule race qui, à l’âge des passions, n’ait pas été entièrement absorbée par ses sensations, par sa préoccupation des choses extérieures. A propos de Charlemagne, M. Godwin nous fait voir encore qu’il ne saurait être considéré comme le fondateur du pouvoir temporel des papes, vu qu’il n’a jamais pensé à abandonner lui-même le droit de commander à Rome, le droit d’y exercer la vieille suprématie des empereurs. Quant à la donation de Pépin, il est fort difficile d’en déterminer le sens exact. Dans les monumens du temps, elle est mentionnée et présentée comme une restitution, ce qui semblerait signifier que Pépin, après sa victoire sur les Lombards, ne fit et ne voulut que rendre aux papes une autorité qu’ils avaient déjà possédée, autorité qui s’était établie d’elle-même à la faveur de la dissolution de l’empire et par le seul fait qu’il n’existait plus aucun autre pouvoir.

Faut-il conclure de ces réflexions que M. Godwin n’ait rien de systématique? Non sans doute, et à un ou deux indices nous craindrions que l’auteur ne fût trop enclin à transporter dans le passé des principes avec lesquels la nature humaine des époques à demi barbares n’était pas complètement en harmonie. Ce sont toutefois des principes excellens en eux-mêmes, et chaque jour de plus en plus vrais, sur l’impuissance de la contrainte, sur la force de ce qui fait appel à la libre affection des hommes, sur tous les mystères enfin de la liberté et de l’autorité. Il est à souhaiter que M. Godwin continue son œuvre dans le même esprit d’impartialité, et il aura bien mérité de son pays en lui fournissant un résumé instructif et intéressant de notre histoire.


J. MILSAND.


V. DE MARS.