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trienne à laquelle il convie tous ses tenanciers, vieux ou jeunes, et détermine lui-même la distance qu’ils doivent courir, eu égard à leurs succès ou à leurs défaites durant les années précédentes. Ces sortes de luttes sont encore en grand honneur dans les universités de Cambridge et d’Oxford, dans les écoles d’Éton, de Harrow, de Rugby et de Shrewsbury, où ont lieu chaque année devant les étrangers des exhibitions de jeux athlétiques. Le clergé protestant, qui dirige en grande partie ces établissemens, considère de tels exercices comme un élément de progrès physique pour la race anglo-saxonne, et même comme un moyen de moralité. Leur avis à cet égard m’a souvent rappelé ce que me disait un jour en France le savant anatomiste M. Serres : « La course développe les poumons, et ce sont les poumons qui tiennent sous leur dépendance toute l’économie du corps humain. » Ces exercices, si estimés qu’ils soient en Angleterre, dégénéreraient bien vite entre les mains des amateurs, s’ils n’étaient soutenus par ce que nos voisins appellent un standard (modèle). Ce type est le coureur de profession. Les professional runners sont aujourd’hui très nombreux dans toute la Grande-Bretagne. En feuilletant les journaux de sport, je n’ai pas compté moins de quatre-vingt-dix pedestrian matches dans une semaine. Il y en avait pour toutes les conditions de distance, et quelques-uns de ces défis entraînaient l’obligation de sauter en outre par-dessus des tas de fascines. Il y a parmi les pédestriens quelques célébrités. Ce que souffrent ces hommes, surtout dans le commencement, à quelles privations de toute sorte ils se soumettent, quelles épreuves monotones et fatigantes ils doivent traverser, le tout pour gagner quelquefois un prix de 10 livres sterling, nul autre qu’eux ne pourrait le raconter. Sans un cours spécial d’instruction (training), il n’y a point de coureurs proprement dits. À ceux qui douteraient de la puissance d’une méthode sur les exercices du corps, il suffira de citer un fait entre mille. Un coureur avait figuré dans différentes matches, et avait toujours été battu. Ses soutiens (buckers), — hommes dont l’industrie consiste à parier et à spéculer sur les pédestriens comme sur les chevaux de course, — avaient perdu avec lui beaucoup d’argent, et venaient de l’abandonner. Il ne savait plus que devenir, quand un habile trainer (professeur de course) se présenta et offrit de l’appuyer de nouveau contre ses anciens adversaires, à la condition qu’il se soumettrait aveuglément à un régime. Ce coureur avait été instruit auparavant, mais mal instruit. Le marché, comme on pense bien, fut accepté. Le pauvre homme se vit tout d’abord obligé de renoncer à son porter grand sacrifice pour un Anglais ; il eut à suer et à maigrir durant des semaines ; enfin il apprit un jour, à sa grande joie, qu’il était en condition, et qu’il allait reparaître dans la lice. La conséquence de ce