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traitement fut qu’il étonna et laissa bien loin en arrière ses anciens vainqueurs. En quoi consistent maintenant les principaux élémens d’une telle méthode ? C’est ce que j’ai voulu apprendre de la bouche des pédestriens eux-mêmes.

Le premier soin du trainer est de réagir sur la constitution de son protégé par un régime diététique. Ce régime est sévère, et l’initié promet de s’y soumettre avec toute la rigidité d’un anachorète. Il lui faut d’abord rompre avec ses anciennes habitudes, et, comme me disait l’un d’eux, « le plus pénible n’est pas encore ce que nous devons faire durant le cours d’instruction, c’est ce que nous ne devons pas faire. » L’adepte doit s’abstenir de fumer, renoncer au café, ne boire à chaque repas qu’une pinte de thé, cette boisson favorite des Anglais, et se priver de toutes liqueurs spiritueuses. Ses repas sont exactement fixés quant au temps, comme aussi quant au nombre et à la qualité des mets. Tout ce qu’il boit, tout ce qu’il mange est mesuré, pesé, analysé avec une vigilance extrême. Le fond de sa nourriture consiste en bœuf rôti, côtelettes de mouton et gruau. L’élève s’est engagé d’honneur à subir toutes ces épreuves ; la moindre dérogation aux règle du training serait un vol envers son maître. À ce régime austère s’ajoutent les exercices qui ont également un Caractère d’inflexibilité. Ce que les trainers méprisent le plus chez l’homme, c’est l’embonpoint, qu’ils regardent comme un luxe, une superfluité, ou, pour mieux dire, une maladie de la civilisation. Un coureur gras, — et il s’en rencontre encore de temps en temps dans les matches, — est à peu près sûr d’essuyer une défaite et de s’attirer les épigrammes du public[1]. Pour combattre cet inconvénient, on a recours aux sueurs (sweatings). Ces sueurs sont naturelles ou artificielles, générales ou locales, selon le tempérament du sujet. S’il s’agit seulement de réduire quelques parties du corps trop chargées de chair, l’élève doit courir plusieurs heures de suite avec ces mêmes parties couvertes d’un nombre effroyable de vêtemens très chauds. Quand c’est au contraire toute la masse de l’individu qu’il faut atteindre, on l’enveloppe d’un drap mouillé, on le roule comme une momie dans une couverture de laine, puis on le place sous un matelas de plume. Quelquefois même on administre au patient des liqueurs et des potions sudorifiques. Dès qu’on juge enfin qu’il est bien, c’est-à-dire fort et maigre, le trainer le conduit généralement dans un enclos réservé aux expériences de course (professional ground), et où la société comme on dit, n’est point admise. Là, le trainer, qui doit être lui-même un bon coureur, donne l’exemple et excite l’ardeur de son élève, tout en ayant soin pourtant de ne

  1. L’un d’eux, dans un défi auquel j’assistais, fut traité sans façon de fat pig (cochon gras). Il s’excusa, disant qu’il n’en serait plus ainsi à la prochaine course, et il tînt parole. Le traitement avait agi sur lui tout à l’inverse de la baguette de Circé.