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que la France s’engageait d’avance à reconnaître la distribution que les alliés feraient entre eux des territoires qu’elle leur abandonnait. Certes ces clauses du traité de Paris étaient dures, on peut même affirmer, sans paraître céder à l’empire d’un préjugé national d’ailleurs trop naturel, qu’elles étaient foncièrement injustes, imposées au nom de l’équilibre européen par des puissances qui, loin de s’enfermer elles-mêmes dans leurs anciennes limites, méditaient toutes d’en sortir et de s’agrandir démesurément selon leurs convenances. Il faut cependant reconnaître qu’il eût été impossible d’en obtenir alors de meilleures. La malveillance des commissaires étrangers, si grande qu’elle fût, n’excédait pas en cette circonstance la mesure des garanties que réclamaient les ombrageuses inquiétudes de l’opinion européenne. Leurs exigences les plus sévères, leurs précautions les plus excessives ne faisaient que donner strictement satisfaction aux instincts de rancune implacable, de jalouse défiance, suscités partout contre la France par l’ambition du conquérant relégué en ce moment à l’île d’Elbe. Plus tenaces dans leur haine que leurs propres gouvernemens, les peuples la reportaient tout entière, Napoléon tombé, sur la nation qui avait docilement servi d’instrument à ses desseins. Aux yeux des Autrichiens, des Russes et des Prussiens, dont nous avions envahi les capitales, aux yeux surtout des Anglais, moins atteints cependant par les désastres des dernières guerres, la France, à son tour humiliée, vaincue et rançonnée, n’avait pas encore assez expié ses torts. Ils auraient, les uns et les autres, vivement reproché à leurs plénipotentiaires de n’avoir pas saisi l’occasion qui s’offrait d’entamer à fond la puissance d’un pays naguère encore si formidable, et malgré ses derniers revers toujours si redouté. Ce sentiment dominait à tel point les esprits, que lord Castlereagh, en sa qualité de ministre constitutionnel, préoccupé avant tout de l’opinion de ses compatriotes, ne manque jamais une occasion d’expliquer dans ses lettres aux ministres anglais, ses collègues, comment les rares concessions faites à la France par le traité de Paris ont été calculées de manière à ne pas accroître ses ressources militaires. Puis, comme il sait la cause des Bourbons populaire parmi des membres du parlement, on le voit surtout appliqué à leur bien faire sentir dans toutes ses correspondances qu’il n’aurait pas été d’une bonne politique de traiter avec trop de rigueur la dynastie qu’on venait de rétablir, et de lui rendre le gouvernement difficile en attachant à son retour des souvenirs trop pénibles[1].

Chose singulière et triste à constater, mais aujourd’hui mise hors de doute par le témoignage des contemporains, lord Castlereagh

  1. Dépêches et lettres de lord Castlereagh, avril et mai 1814.