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bilitation de la forme et de résurrection de la chair ; en Angleterre, la forme humaine, en tant qu’elle exprime la vigueur et l’action, n’a nul besoin d’être réhabilitée, parce qu’elle a toujours été honorée et cultivée avec soin. Dira-t-on que c’est du matérialisme ? Exercer et développer la force matérielle n’est point lui obéir.

Les Anglais estiment la course, comme ils estiment d’ailleurs toutes les autres gymnastiques du corps ; ils admirent ces hommes, marbre vivant, dit un de leurs poètes, dans lesquels un art particulier a en quelque sorte sculpté la statue de l’énergie et de la vitesse. D’où vient donc qu’ils méprisent la vie des pédestriens ? Cela tient, il faut le dire, aux mœurs de la profession. Depuis longtemps, les coureurs passent en Angleterre pour des hommes à conscience large qui ont recours à tous les moyens, sans en excepter la fraude, pour gagner de l’argent. Il y a plusieurs années, le Lord’s Cricket ground était en même temps à Londres un endroit fameux pour les défis à la course. Un des habitués de l’endroit, connu sous le nom du père Fennex (old Fennex), amena un jour du Hertfordshire un jeune homme qui, arrivé sur le terrain, prit les airs d’un fat et d’un imbécile de province aux poches pleines d’argent. Un défi s’engagea entre lui et un mauvais coureur de troisième ordre, — défi dans lequel il gagna, mais seulement de la longueur du cou (by a neck) ; puis, comme enivré de son mince triomphe et frappant sur ses poches gonflées d’écus : « Je défie, s’écria-t-il, n’importe qui sur le terrain pour la somme de vingt-cinq livres sterling argent comptant ! » Une course s’organisa sur-le-champ au milieu des réflexions de la foule. « C’est un cas de conscience, disaient les uns, que de soutirer de l’argent à un pareil ingénu ! — Bah ! reprenaient les autres, il est assez vieux pour savoir ce qu’il fait ; tant pis pour lui ! » Cependant Fennex allait çà et là, pariant des sommes considérables sur la tête du jeune homme. La course eut lieu, et cette fois le prétendu novice arpenta le terrain comme un lévrier. C’était un coureur de première force. Sa victoire fut suivie d’un immense éclat de rire ; seulement tous ceux qui avaient perdu (et ils étaient nombreux) ne riaient que du bout des dents. Aujourd’hui les pédestriens ont d’autres tours à leur service. Si l’on tient sérieusement à réformer la lice, comme on le dit tous les jours en Angleterre, la première condition serait d’abolir l’usage, qui s’est introduit depuis quelques années, d’abandonner aux pédestriens une partie de la recette (gate-money). Tant que cet usage existera, les spectateurs paieront dans la plupart des cas pour être dupes. Les coureurs se soucient en effet bien moins de leur honneur et de leur réputation que du profit qui peut leur revenir ; or leur intérêt, sous le nouveau système, est quelquefois de céder le prix à un confrère dont les victoires, annoncées à plusieurs reprises par les journaux, attireront