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l’empereur Alexandre, et à peu près par les mêmes raisons. Il sentait parfaitement qu’il avait, lui aussi, quelque chose à racheter pour avoir servi d’intermédiaire entre les puissances étrangères et la population parisienne, pour avoir trop volontiers porté les messages du sénat au lieutenant-général du royaume, pour s’être mal à propos mêlé d’imposer à la dynastie restaurée une constitution dont elle ne voulait pas. On lui avait ménagé, il est vrai, une haute position, parce qu’il était après tout un grand personnage; on lui avait laissé le poste de ministre des affaires étrangères, parce qu’il était en ce moment, de l’aveu de tous, le seul capable de les bien remplir. Au fond, cela était précaire. La crise passée, quand ses services ne seraient plus nécessaires, que deviendrait son crédit? Dans un gouvernement constitutionnel à peine ébauché, assez mal pratiqué déjà, il était assez fâcheux d’être à la fois sans appui dans un parlement encore dépourvu d’influence et sans faveur auprès d’un maître presque tout-puissant. Ce danger ne pouvait échapper à la perspicacité de M. de Talleyrand. Comment n’aurait-il pas essayé de le conjurer et de rendre sa situation plus forte en se montrant tout à fait favorable aux secrets penchans de Louis XVIII? Il n’avait d’ailleurs à faire en cette circonstance aucun sacrifice de principes, pas même celui de ses goûts personnels. Quoiqu’il eût été en intimes relations avec l’empereur Alexandre pendant son séjour à Paris, quoiqu’il s’en fut beaucoup servi pour appuyer ses tentatives avortées de transaction avec le sénat, il n’avait pas d’inclination pour l’alliance russe. Il lui préférait l’alliance anglaise, dont il avait eu occasion de se faire un des premiers champions à l’assemblée constituante, et qu’aux derniers jours de sa longue carrière il devait avoir l’honneur de fonder définitivement à Londres. Il n’avait donc nul effort à faire pour entrer dans les vues du roi Louis XVIII, et ses premières démarches comme ministre des affaires étrangères eurent en effet pour but de se rapprocher autant que possible du cabinet britannique; mais il était destiné à s’apercevoir assez vite combien cette alliance, si excellente en principe, était en même temps laborieuse à mettre en pratique. L’Angleterre lui avait demandé, comme témoignage de sa bonne volonté, quelques mesures contre l’esclavage dans nos colonies et un abaissement considérable de nos tarifs protecteurs. M. de Talleyrand avait dû ajourner à des temps plus faciles la satisfaction que réclamait lord Castlereagh. En revanche, il avait trouvé le ministre britannique froid et récalcitrant, quand il lui avait parlé de l’avantage qu’il y aurait pour l’Angleterre et la France à marcher d’accord dans les conférences qui allaient s’ouvrir à Vienne. Tel n’était pas l’avis de lord Castlereagh. L’alliance avec la France pouvait être pour lui une affaire de nécessité, non de choix. « La combinaison sur laquelle elle reposait prêtait, écrivait-il dans