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Castel, toujours bon juge en ces matières, tout n’était pas bénéfice dans une combinaison qui, en nous donnant des alliés jaloux et malveillans, nous constituait en état d’hostilité contre la seule puissance chez laquelle nous rencontrions alors quelque sympathie et une certaine disposition à nous relever de nos revers ; mais, il faut le reconnaître, M. de Talleyrand avait raison quand il attribuait surtout le succès inattendu que la France venait de remporter à Vienne à la situation évidemment impartiale que lui avaient faite les stipulations acceptées par elle du traité de Paris. C’est en proclamant avec une autorité sans pareille notre complet désintéressement dans toutes les questions de territoire que notre ambassadeur avait pu calmer doucement les ombrages, ramener insensiblement les esprits et conduire peu à peu trois de ses collègues à se lier envers nous par des engagemens formels dont, à l’ouverture du congrès, la seule pensée les eut tous épouvantés. Il n’était pas moins dans le vrai, nous le croyons, quand, écrivant peu de jours après au roi Louis XVIII, il lui donnait à entendre « que si les hostilités éclataient, bien qu’on eût assigné pour but à la convention du 3 janvier de compléter le traité de Paris, il pourrait en sortir pour la France, et au grand avantage de l’Europe elle-même, des résultats beaucoup plus étendus. »

L’histoire n’est-elle pas là en effet pour montrer combien M. de Talleyrand avait chance de ne se pas tromper, et l’expérience ne nous apprend-elle pas comment les guerres, une fois entamées, entraînent forcément après elles toutes leurs conséquences, inattendues pour tout le monde, mais d’ordinaire profitables aux nations qui les ont vaillamment entreprises et heureusement conduites ? Après les grandes batailles ou gagnées ou perdues, les jalouses précautions de la diplomatie ne sont plus guère de mise, et les engamens mis ou non par écrit ne gênent pas autrement les vainqueurs. Sans sortir de notre pays, nous en avons quelques exemples. Qui eût dit à la Russie et à l’Autriche, quand nous allions défendre en Pologne les droits assez douteux de Stanislas Leczinsky, que nous y gagnerions la Lorraine ? Et l’Angleterre, quand, avec tant de plaisir, elle nous voyait naguère courir à Magenta et à Solferino pour défendre la cause de l’Italie, se doutait-elle que nous en reviendrions pour occuper Nice et la Savoie ? Malheureusement il n’a pas été donné au traité du 3 janvier 1815 de porter des fruits aussi considérables. Constatons seulement qu’aux premiers jours de l’année 1815 la coalition européenne se trouvait détruite de la main même du chef de la maison de Bourbon. Est-ce sa faute si, quelques mois après, le faisceau en était renoué plus solidement que jamais, afin de résister aux violens assauts du terrible prisonnier échappé de l’île d’Elbe ?

De la lecture attentive des volumes de M. de Viel-Castel, des dé-