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agens de police, s’il faut en croire certains bruits, trouvent toujours moyen de s’échapper et de se rendre sur le champ clos où les attend déjà un public nombreux et sympathique. Pour quiconque a assisté à l’un de ces défis, jamais l’idée ne viendra d’accuser à ce propos le gouvernement anglais de faiblesse ou d’incurie. Que peut-il faire, avec la meilleure volonté du monde, quand des étoiles de l’aristocratie, des chefs de l’armée, des membres de la chambre des communes et de la chambre des lords, des hommes distingués dans toutes les sphères, quelquefois même des clergymen, couvrent pour ainsi dire le ring de leur influence et de leur patronage ? Comment la main du pouvoir se glisserait-elle à travers ce rempart d’impunité ? Les lutteurs ne craignent donc guère les tribunaux, placés qu’ils sont sous la protection de l’enthousiasme national. Il faut pourtant se hâter, et le premier soin de ceux qui président au tournoi est de choisir un terrain favorable ; ceci fait, on prépare aussitôt le ring, qui, contrairement aux idées que les mathématiciens nous inculquent sur la nature du cercle, est un carré de verdure entouré de pieux et de cordes. Chacun des deux pugilistes se montre dans la foule accompagné de deux amis ou témoins dont l’un porte une éponge ou une serviette, c’est le second, et dont l’autre tient une bouteille d’eau à la main, c’est le bottle-holder. Les fonctions de ces deux chevaliers servans consisteront tout à l’heure à éponger avec un soin de nourrice les membres ruisselans du lutteur et à lui rafraîchir la bouche avec de l’eau. L’entrée dans le ring est un moment solennel : avant d’y pénétrer lui-même, le pugiliste y jette son chapeau, comme s’il ne voulait franchir l’enceinte redoutable que pour le ressaisir. Quand le pugiliste a déjà fait ses preuves et qu’il est aimé du public, son entrée est saluée par un tonnerre d’applaudissemens qui se répètent d’ailleurs avec plus ou moins de force, un moment après, en faveur de son adversaire. Si ces deux hommes ne se connaissent guère ou même ne se sont jamais rencontrés jusque-là, ils s’observent de la tête aux pieds avec des regards étranges, ainsi que des lions qui s’envisagent et se flairent sur la limite d’un bois. Cependant les deux adversaires s’avancent l’un vers l’autre et se serrent chaudement la main, comme pour témoigner qu’aucune inimitié personnelle ne les anime, et qu’ils ne sont là que pour soutenir l’honneur d’un passe-temps national. À cette poignée de main qu’accompagne de part et d’autre un sourire glacial, les applaudissemens redoublent en dehors du ring. Les Anglais donnent aux athlètes le nom de gladiateurs : ce terme est impropre, car ils n’ont d’autre arme que leur poing noueux ; mais ce sont bien, comme les anciens gladiateurs, les souffre-douleur de la joie publique. O vieille Angleterre, ceux qui vont combattre te saluent !