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curieuse est la combinaison par laquelle le lord chancelier, pour juger une cause, est assisté de deux pairs non-magistrats qui changent à chaque séance, de sorte qu’au jour où est prononcé le jugement, sur trois lords, il y en a deux qui n’ont rien entendu des débats.

Tous les conflits d’attributions de pouvoir entre les deux chambres ne sont pas encore terminés et résolus par une règle fixe. À côté de la belle application du principe de l’élection des représentans du pays se dresse le vice invétéré de la corruption électorale. Tous les grands intérêts du pays doivent être représentés, et pourtant, comme la propriété foncière donne seule le droit de voter, la plus grande masse de la propriété mobilière, c’est-à-dire les 800 millions sterling des prêteurs de la dette publique, ne sont pas représentés[1]. Pour être nommé aux chambres, il faut, si l’on n’est pas fils aîné de pair, 15,000 francs de rente en terre pour représenter un comté, 7,500, francs pour représenter un bourg. Un Anglais pourrait posséder un million sterling à la banque ou dans le commerce sans avoir le droit de représenter une ville commerciale, s’il ne possédait pas en outre 7,500 francs de rente en terre. Cette loi, il est inutile de le dire, est toujours éludée par des transferts temporaires de propriété.

Une étude approfondie de l’Angleterre ferait découvrir encore sans doute d’autres lacunes et d’autres contradictions, mais on a pu voir déjà comment en Angleterre la raison publique est assez haute pour se résigner à des imperfections et à des contradictions même choquantes, et comment aussi la vitalité de la nation est assez puissante pour la faire prospérer glorieusement malgré des plaies connues ou cachées, qu’on cherche paisiblement à guérir à chaque occasion favorable. Pour nous, en France, si nous ne possédons pas les institutions de l’Angleterre, adoptons au moins ses vertus morales et politiques, ainsi que ses maximes de conduite. Nous avons largement usé du droit de résistance : n’essaierons-nous pas un jour de l’efficacité de la science des compromis ? Si nous savions être bientôt assez tenaces et assez sages, nous saurions bientôt aussi être suffisamment libres avec toutes les combinaisons politiques. La liberté a toujours été pour nous une ivresse suivie d’un prompt assoupissement ; saurons-nous au réveil demeurer sobres et travailler avec obstination et sans éclat sur nous-mêmes d’abord, et sur les petites choses à défaut des grandes ? La victoire reste toujours aux entêtés plutôt qu’aux téméraires. Apprenons, comme les Anglais, à nous défaire du fâcheux sentiment de l’envie et à être fiers et heureux

  1. Lord Brougham, p. 68, 74, trad. 20-22.