Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/604

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que j’ai vue scellée dans un mur de la cour du château constate que la postérité de Gherardesca ne s’est pas éteinte tout entière dans la tour de la Faim, comme les vers du poète florentin pourraient le faire croire. Un membre de la famille a été miraculeusement sauvé, et le nom d’Ugolin de Gherardesca est encore aujourd’hui porté avec honneur par le chef d’une des grandes familles de Florence, propriétaire du château de ses aïeux.

Dans les plaines, au pied de ces montagnes, sont de vastes champs depuis peu défrichés et plantés surtout de maïs, de blé et de pommes de terre. On y cultive aussi l’olivier et la vigne, qui donnent d’excellens produits. Ces champs s’étendent jusqu’aux dunes et aux étangs de la mer, et le long de la route je voyais des corps de fermes d’une élégante architecture où résident les métayers. Le style que les Toscans ont adopté pour ces constructions est des plus heureux. À l’intérieur, le parquet est en brique rouge ; les murs, crépis à la chaux, sont souvent ornés de fresques, et les plafonds sont en forme de larges voûtes, sous lesquelles on respire une agréable fraîcheur. Ces métairies ou fattorie appartiennent pour la plupart à de riches Pisans, entre autres le comte Alliata et le chevalier Serristori. Les gardes, le baudrier en sautoir, coupé sur le milieu par une plaque luisante de laiton portant les armoiries de leur maître, nous regardaient curieusement passer, car à l’époque de l’année que j’avais choisie on ne voit guère les touristes parcourir la Maremme. Sur le devant de la ferme, les animaux de basse-cour se disputaient quelques grains oubliés, pendant qu’autour des colombiers, formant l’une et l’autre aile de la maison, volaient en se poursuivant les pigeons et les tourterelles. Sur la porte, entourée d’une bande d’enfans, se montrait la fermière, fidèle compagne du métayer. Tout cet ensemble rustique composait un fort gracieux tableau, ayant pour horizon d’un côté les verdoyantes montagnes, et de l’autre la nappe azurée de la mer.

Gamba Corta, que cette scène champêtre laissait indifférent, fouettait et excitait ses chevaux. Il avait hâte d’arriver à San-Vincenzo, deuxième relais de la route où il est de tradition qu’on donne le picotin aux bêtes pendant que le voiturin avale le bicchierino de rigueur. L’auberge où nous nous arrêtâmes avait pris le nom d’Albergo reale depuis que l’ancien grand-duc, dans une de ses courses en Maremme, s’y était arrêté pour souper et passer la nuit. Le vieux Léopold aimait ainsi arriver à l’improviste sans se faire annoncer, et savait toujours se contenter de ce qu’il trouvait au logis. Sa suite se montrait souvent plus difficile, mais le prince laissait murmurer. Il est d’usage en Toscane, quand un souverain a séjourné ainsi dans la première maison venue, ne fût-ce que pour