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nous avons déjà présenté ici les résultats[1]. Plus au sud, sur le Gabon et la Haute-Cazamance, fleuve dont l’embouchure est voisine de Gorée, les officiers de notre marine ont encore fait d’utiles reconnaissances, qui ont pour but de placer les populations riveraines sous l’influence française et de rattacher nos comptoirs de cette côte à notre colonie du Sénégal[2].

Nous venons de voir l’Afrique attaquée à toutes ses extrémités à la fois par les nations européennes. Dans ce continent, la nature, puissante comme aux premiers jours, prodigue la force et renouvelle les merveilles de la création primitive pour les plantes, les animaux, pour tous les êtres, l’homme excepté. Celui-ci y vit dans une infériorité manifeste. Pourquoi tant d’abaissement ? L’homme, qui ailleurs s’élève à l’intelligence de ce qui est beau et juste, qui sent la vérité, qui sait faire un noble usage de la pensée, poursuivre l’espérance de destinées meilleures, et qui pour cette œuvre a fondé de puissantes sociétés, l’homme, dans une des plus grandes parties du monde, d’une extrémité à l’autre, est chétif, abject, égoïste ; il vend son semblable et même ceux de sa famille, il se déforme le visage, et semble se complaire dans la laideur physique et morale. Cependant nous ne sommes plus au temps où l’on pouvait considérer le noir comme un être de création inférieure, intermédiaire entre l’homme et la bête. La science interrogée a répondu que tout ce qui porte le nom d’homme, inégal aujourd’hui, procède de la même création, part du même point, et, à côté de cet arrêt porté par la science, ces élans de pitié, de compassion qu’ont ressentis tous les cœurs élevés attestent encore la communauté d’origine, S’il n’y avait dans notre conscience quelque chose qui nous dît que ces malheureux sont de notre famille, les assemblées des grandes nations, les législateurs, ne se seraient pas levés pour eux, ils n’auraient pas interdit de les vendre et de les traiter en bêtes ! Nous sentons aussi qu’on ne peut pas condamner à l’abjection fatale ces êtres infortunés sans ravaler l’espèce entière, car si l’homme ne pose pas entre l’animal et le dernier de son espèce une infranchissable

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1861.
  2. Parmi les relations de voyages en Afrique, il en est encore une qui a paru dans le cours de l’année 1861 (the Gorilla country. Explorations and adventures in parts of Equat, Africa, by A. du Chaillu ; 1 vol. in-8o, Londres 1861). L’auteur, M. A. de Chaillu, Américain d’origine française, prétend s’être avancé à une grande distance de la côte dans la profondeur des forêts, et il rapporte, avec son volume, une carte chargée de noms nouveaux pour la géographie. Malheureusement de nombreuses contradictions se sont élevées contre les assertions du voyageur ; la critique géographique a cru y découvrir des erreurs et des invraisemblances ; puis les doutes qu’elle avait conçus ont été confirmés par des déclarations de résidons honorables de la côte du Gabon, qu’on peut voir dans l’Athenœum du 14 décembre 1861.