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point qu’il importe que le gouvernement français fournisse le plus tôt possible à l’opinion des éclaircissemens catégoriques. Nous n’osons pas en effet affirmer que cette malencontreuse idée n’ait jamais eu quelque apparence sérieuse de consistance, quand nous voyons par les documens anglais les préoccupations qu’elle a excitées dans le monde diplomatique. Lord John Russell la combattait, il y a quelques mois, dans ses dépêches au ministre anglais à Vienne. En janvier, le maréchal O’Donnell, dans un entretien avec sir John Crampton, se déclarait contraire à cette tentative d’établissement monarchique. Une circonstance qui nous rassurerait quant à la liberté du gouvernement français à l’égard de ce plan d’émigrés, c’est le langage sensé et vraiment politique que M. Thouvenel, au mois de février, tenait à lord Cowley. Notre ministre regrettait que dans leur première proclamation les commissaires alliés eussent paru dire que l’intervention avait bien plus pour but d’établir un gouvernement stable que d’obtenir réparation des dommages soufferts. Quoi qu’il en soit, dans certaines démarches, dans certains actes, dans certains propos, nous avons eu peut-être le tort de laisser prendre pour une connivence ce qui, au fond, n’était qu’un vague laisser-aller. Il est regrettable que l’on n’ait pas compris partout qu’une telle politique était désavouée par les principes comme par les intérêts de la France. La France de 89 peut-elle songer un instant à imposer un gouvernement monarchique à une nation républicaine, quelque sujet de plainte que lui donne l’anarchie à laquelle cette nation est en proie ? La France, qui a si cruellement souffert dans ses désastres de la pression étrangère, peut-elle jamais avoir la fantaisie impie d’aller, elle aussi, créer au sein d’un peuple un gouvernement de l’étranger ? Si la France était capable d’oublier à ce point ses principes, porterait-elle un aveuglement semblable dans l’appréciation de ses intérêts ? Cette monarchie étrangère qu’elle irait importer au Mexique n’y pourrait résister aux factions intérieures que sous la protection de nos armes ; au moment où il nous est permis d’espérer que l’occupation de Rome touche à sa fin, nous la remplacerions par l’occupation de Mexico ! Cette monarchie sur son continent aurait un adversaire extérieur formidable, l’Union américaine, et nous irions gratuitement, de gaîté de cœur, nous créer ce nid de querelles avec nos alliés maritimes naturels, les États-Unis ! Ces idées sont si insensées qu’on rougit d’en effleurer la discussion.

Qu’il soit donc bien entendu, si nous voulons nous tirer promptement de la difficulté mexicaine, qu’aucune pensée parmi nous n’incline à de telles aventures. Mesurons bien les embarras qui sont devant nous, et allons au plus pressé. Des soldats français sont engagés dans cette expédition romanesque. À l’heure qu’il est, sans doute ils ont bravement planté notre drapeau à Mexico ; mais les peines et les périls auxquels ils demeurent exposés ont de quoi donner de poignans soucis à ceux chez qui les rêveries ou les calculs de la politique n’endorment point les sentimens d’humanité. Mexico est à une centaine de lieues de Vera-Cruz. Notre petite armée a pour base d’opérations un port empesté de fièvre jaune, et encore, pour ne pas perdre