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instinctifs en même temps qu’habiles chimistes, ont dû souvent tourner leurs efforts vers l’imitation de la chimie naturelle, chercher par exemple à reproduire cet émail si parfait, chargé de recouvrir et de protéger la matière calcaire, la poterie en un mot, que sécrètent pour s’abriter ces ouvriers sous-marins, ces zoophytes innombrables, qui sont à la fois des architectes merveilleux, de puissans géomètres et des peintres pleins du sentiment de la couleur et de l’ornementation. Leurs habitations, construites de sable et de chaux, comme les nôtres, sont cimentées, pétries d’une seule pièce ; la forme en est d’une élégance et d’une grandeur sans pareilles parmi les hommes. Nous disons grandeur avec intention, car il est de ces demeures qui sont cent fois plus hautes que les individus qui les habitent. Les murs et les coupoles, afin de résister aux crevasses, aux infiltrations, à la désagrégation des matériaux, sont stucqués, revêtus d’une glaçure splendide, d’émaux éclatans ornementés avec le sentiment de l’art le plus parfait. Dans leur travail de maçonnerie, ils sont aidés par les courans rapides, par les réfractions solaires, par des attractions électriques et magnétiques, qui divisent, transportent, combinent et transmutent les sables en émail, les métaux et les végétaux en principes colorans, en nacres irisées, en perles précieuses, et même en incrustations splendides. Ces ciselures, soit en relief, soit en creux, résultent d’une loi mathématique qui dépasse le savoir humain. C’est là en effet la science divine, et de la fabrication de l’homme à celle de Dieu la distance n’est pas encore franchie. Étudiez avec soin les fruits de la mer ; frutti di mare, comme disent les Italiens, et vous trouverez dans la famille des cônes des formes merveilleuses que les Chinois connaissent bien, car ces coquilles abondent dans les golfes de l’Inde et de la Chine. Le cône cedonulli est un vase véritable, et si, en regard de la mitre carbonacée, nous placions le dessin d’une potiche de Chine avec son couvercle, le lecteur resterait indécis entre les deux œuvres. La cyprœa globulus et celle à feuilles de roseau sont dans le même cas. Pour les rayures et les ponctuations, la famille des ricinula est une des plus intéressantes ; celle des mangelia pour les striures ; la bulle banderole, vulgairement bouton de rose des Indes orientales, est une leçon d’harmonie et de division des espaces. Il en est de même des troques modulifères et flammulées pour l’ornementation céramique ; l’hélice apicine et la troque costulée sont des modèles de forme gracieuse pour les vases suspendus ; les haliotides de l’Inde, par leurs nacres irisées, ont inspiré aux ébénistes d’Orient les marqueteries de burgo[1]. Dans les cyclostomes

  1. Dérivé du nom de la ville de Burgos, où ce genre de travail a été introduit par les Arabes.