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rayées, zébrées et treillissées, on trouverait pour les étoffes ces lois de division et d’espacement que la Perse et l’Inde ont su mettre en pratique. Et ici je ne parle pas des coquilles qui semblent irrégulières à nos yeux prévenus, je choisis seulement celles qui, soumises à nos lois architecturales, plaisent tant à l’œil et à l’esprit de l’homme.

Dans ces coquilles, que nous trouvons encore si brillantes, l’éclat de l’émail est déjà terni cependant par le seul fait de la mort de l’animal, comme il arrive pour le plumage des oiseaux ; mais lors même que ces bijoux marins ont perdu de leur splendeur, l’émail en est encore si semblable à celui de la porcelaine[1], qu’on ne saurait douter un instant que les Orientaux, dans leurs produits céramiques, n’aient puisé là leurs inspirations et cherché leurs modèles. Où en prendre d’ailleurs de plus beaux et de plus vrais ? La nature n’est-elle pas le détenteur de toutes les sciences et de tous les secrets ? « Cherchez et vous trouverez ! » a dit l’Évangile, c’est-à-dire : Observez, et la révélation se fera.

De l’Égypte et de l’Asie, où elle est toujours restée florissante, la céramique arrive en Grèce et en Étrurie, puis de là elle pénètre dans toute l’Europe méridionale, à Rome et dans ses colonies, en Espagne et sur tous les bords de la Méditerranée ; mais elle s’arrête au nord de l’Europe : les Scandinaves ne la connaissent pas, tandis que les Gaulois, ce peuple voyageur, la rapportent de l’Orient, dont ils sont originaires. Toutefois les vases grecs ou étrusques, comme on voudra les appeler, n’ont jamais été qu’une imitation plus ou moins exacte des vases phéniciens.

En céramique, on ne saurait séparer la couleur de la forme ; c’est là ce qui explique la grande supériorité de l’Asie sur la Grèce. L’admiration exagérée des amateurs du style classique pour tout ce qui est grec, et seulement pour ce qui est grec, les égare singulièrement dans cette question de céramique. Quoique ce soit chose connue, il est bon toutefois d’insister ici sur ce fait, qu’il n’y a pas une forme grecque qui ne soit égyptienne ou asiatique. C’est à l’Orient qu’appartient en définitive la supériorité dans cette branche de l’art décoratif. À notre avis même, la céramique chinoise, qui date d’une si haute antiquité, est la plus avancée, la plus parfaite du monde entier, et tellement supérieure à la céramique grecque, laquelle n’a jamais dépassé la période de l’enfance, que nous ne concevons pas qu’on les puisse comparer. Nous savons cependant que notre manière de voir est diamétralement opposée à celle de quelques archéologues

  1. L’origine de ce nom de porcelaine serait au besoin la preuve de ce que nous avançons ; il est pris du mot latin porcellina et porcellana, donné par les anciens à une famille de coquilles remarquable par la beauté de l’émail.