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ses productions, non-seulement dans les villes environnantes, mais encore en Afrique et en Europe. Toutes les mosquées, les bains, les palais, les kiosques et les tombeaux de l’Égypte et de la Turquie en furent décorés. Ce n’était pas seulement une industrie, c’était un art véritable que l’art céramique en Asie ; pour la richesse des couleurs, l’éclat de la glaçure, la beauté des dessins, il était impossible de pousser plus loin la perfection du décor. Un poète persan, calligraphe habile, était attaché à l’établissement de Brousse, afin de composer les inscriptions et les arabesques qui se reproduisaient sur les émaux.

À la porte du tombeau de Mohammed, entièrement émaillée du haut en bas dans un développement de plus de cent pieds, la sculpture est tout aussi hardie et compliquée que si elle avait été faite dans du marbre. On se demande comment il a été possible de mouler en détail un ensemble si complet et en même temps si habilement rajusté que nulle part on n’en trouve les fissures, de revêtir d’un émail aussi fin ces moulures à jour comme des dentelles, et dont les dessous comme les dessus sont ornés de dessins de tant de nuances différentes. Il est aisé de voir que ces faïences sont poreuses et peu cuites, de façon qu’une trop forte chaleur n’en altère ni les formes ni les tons. La glaçure en fait toute la solidité. Les ornemens en relief ont été évidemment appliqués sur les fonds au moyen d’un moule et d’une seconde cuisson, et sans doute émaillés sur place à l’aide de fourneaux et de lampes dans le genre de celles des émailleurs. Les couleurs employées sont le cobalt pour les bleus foncés, puis l’oxyde noir de cuivre, vulgairement nommé battiture de cuivre, parfois mélangé de cobalt, afin d’obtenir ce bleu-vert-de-gris de la turquoise, dont nous ne saurions trop redire la richesse et l’éclat : c’est le tcha-lan des Chinois, bleu de cuivre avec un fondant. Les jaunes, les bruns, les blancs, les rouges brique et les violets sont faits avec le protoxyde de plomb, l’oxyde de manganèse, le sulfate de plomb et les oxydes de fer. La peinture des ornemens a une épaisseur sensible au doigt et même aux yeux.

En Europe, ce n’est qu’après le XIe siècle, à la suite de la première croisade, qu’on a connu les poteries a pâte compacte, nommées grès (les faïences proprement dites), ainsi que les poteries à vernis de plomb et à émail d’étain. L’introduction de l’oxyde d’étain dans la glaçure la rendit blanche, opaque, et donna toute facilité pour cacher sous une couche d’émail plus ou moins épaisse la couleur ordinairement rougeâtre de l’argile cuite. C’est aux Arabes et aux Maures d’Espagne que nous devons ce dernier perfectionnement. Alors les faïences émaillées se répandirent en Italie, et cette