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vert-de-gris dont l’Égypte ancienne avait déjà le secret. De 1500 à 1550, l’art de décorer les porcelaines fit un nouveau pas, grâce au bleu hoeï-hoeï (littéralement : bleu des musulmans), qu’on fit venir de Perse sans aucun doute. C’est ce beau bleu de cobalt dont se servaient les Persans pour leurs porcelaines et que l’on nomme vulgairement bleu de Perse. De 1600 à 1700, le directeur de la manufacture impériale chinoise fabriqua des vases dont les plus célèbres sont connus par les désignations suivantes : vases couleur peau de serpent, jaune d’anguille, azur brillant tacheté de brun ou de jaune, vert pâle, violet pâle et jaune pâle, rouge et bleu soufflés. De 1700 à 1750, un autre directeur rendit célèbres les travaux de la manufacture par le choix exquis des matériaux et des formes. Dans ces divers progrès, on voit toujours la céramique chinoise fidèle à une direction principale ; elle cherche la beauté dans l’alliance harmonieuse de la forme et de la couleur plus que dans cette lutte stérile avec la peinture qu’on poursuit à Sèvres. Chez nous, on cède à la manie du tour de force ; en Chine, c’est la pureté des matériaux, la beauté de la forme et de la couleur qui font le charme céramique.

Ne craignons pas d’insister sur ces détails trop peu connus qui caractérisent une des branches les plus intéressantes de l’art chinois. Les porcelaines du pays de Ting étaient célèbres par leur blancheur ; il y en avait aussi à fond rouge avec des fleurs en relief ou en creux, et d’autres peintes. C’étaient des glaïeuls, des lotus ou l’hémérocale, espèce de lis blanc, puis cette fleur orange et violet qui ressemble à l’oiseau de paradis. Les porcelaines de Kum, qui sont du Xe siècle, avaient bien des sortes d’émail : un jaune imitant les soies du lièvre, un autre rouge vif, comme la fleur du poirier du Japon ou le soleil après la pluie, d’autres bleu d’oignon et couleur d’encre, un quatrième bleu de Perse, et un cinquième violet d’aubergine, enfin des tons inconnus, tels que la couleur foie de porc et poumon de mulet. Tels étaient les résultats obtenus dans l’art de varier les couleurs, et on n’était pas moins habile à varier les formes. On fabriquait par exemple ces grandes jarres à tête ronde pour mettre des fleurs ou des poissons, qui ont six pieds de hauteur et cinq pouces d’épaisseur[1]. On obtenait des modèles de cassolettes excessivement variés, des vases

  1. Celles dont l’émail rouge ou bleu était soufflé avaient le plus de mérite. Cette manière de souffler est fort importante, car c’est ainsi que les Chinois produisent ce pointillé, ce moiré, ce mouvement dans la couleur dont le rôle est de faire disparaître l’uniformité de nuances, ennemie de l’harmonie. Pour le bleu soufflé, on se sert du plus bel azur ; lorsqu’il est préparé, on prend un tuyau dont une des ouvertures est couverte d’une fine gaze ; on applique doucement le bas du tuyau contre la porcelaine, on souffle, et elle se trouve ensuite toute semée de petits points bleus. Cette sorte de porcelaine est plus chère que celle qui est simplement plongée dans la couleur, parce qu’il s’en use ainsi beaucoup plus.